Sur la route de Wewak [1/3]

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Publié par Froggy | Classé dans Océanie | Publié le 21-06-2015

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Première partie : De Mount Hagen à Madang

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Suite de l’article précédent : « Retour dans les Highlands avec Simon »

Après avoir passé plus de 5 semaines à parcourir le quart Sud-Ouest-et-Centre de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, j’entreprends maintenant de rejoindre le littoral Nord du pays, et notamment les provinces du Sépik (West Sepik et East Sepik).

D’abord, la seule et unique route qui me permettra d’atteindre la frontière indonésienne à l’Ouest se trouve justement le long de ce littoral, je devrai donc obligatoirement y passer. Et puis, ayant déjà traversé ces régions deux ans plus tôt avec Adrien, je me souviens à quel point nous avions été enchantés par l’atmosphère de vie et l’hospitalité locale, nous nous étions alors fait quelques amis dans les différents villages traversés : Vanimo, Aitape, et Wewak.

C’est pourquoi je me dois d’aller rendre visite, entre autres, à la famille Seegar de Wewak qui nous avait chaleureusement accueilli pendant quelques jours à l’époque. Je savais déjà à ce moment que j’allais revenir en PNG après un petit séjour en Australie. Seulement, je ne pensais pas que ce petit séjour allait durer deux années entières !

N’ayant eu qu’un échange limité et indirect (via une tierse personne) avec la famille Seegar pendant ces 2 ans, je n’avais même pas eu la possiblité de leur annoncer mon retour en PNG, ca sera donc une surprise pour tout le monde !
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Mon parcours en surface depuis Mount Hagen au coeur des montagnes jusqu’à Wewak sur la côte nord. Avec une étape à mi-chemin dans la ville cotière de Madang. (Cliquez sur la carte pour l’agrandir)

Vers l’Est…

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Je quitte Mount Hagen à bord d’un vieux minibus en direction de Goroka. Il doit être aux environs de midi quand nous prenons la route et je m’interroge alors sur la durée du trajet jusqu’à Madang, notre destination. Les Papous qui m’accompagnent s’amusent à faire des pronostics mais aucun d’entres eux n’est d’accord avec le voisin, on sait seulement qu’on arrivera aujourd’hui, ce soir, cette nuit, demain matin, enfin par là quoi.

Nous traversons d’Ouest en Est les régions centrales du pays, descendant lentement la longue chaine montagneuse qui forme la structure dorsale de la Papouasie-Nouvelle-Guinée.
La route est belle et terrible à la fois; le paysage est grandiose : vallées et forêts, collines verdoyantes ornées de villages invisibles noyés dans la végétation, minuscules marchés aux fruits et légumes stratégiquement placés aux abords de la route où nous nous arrêtons parfois pour nous dégourdir les jambes en avalant rapidement le jus d’une noix de coco fraichement ouverte à la machette.

La route de montagne que nous empruntons est une succession de pistes de différents types de surfaces et différentes qualités. De la terre battue par endroits, de la boue ou des graviers sur d’autres portions, et le plus souvent une surface bitumée dure mais très abimée.

Nous roulons parfois tout près de petits ravins et il vaut mieux à ce moment là ne pas trop regarder par la fenêtre, la route étant réputée dangeureuse aussi bien à cause de son état de délabrement que du manque de sagesse des conducteurs. Mais le plus effrayant ce sont peut-être tous ces ponts que nous franchissons, généralement assez courts, juste de quoi enjamber une rivière, et presque tous dans des conditions de maintenance déplorables. Au point qu’il n’est pas rare de voir un bus ou un camion coincé en pein milieu d’un pont, bloquant alors la circulation dans un sens voire dans les deux.

La technique habituelle pour traverser avec succès un pont métalique délabré est de foncer tout droit le plus vite possible, après avoir pris un peu d’élan pour éviter les « trous » laissés par des parties métalliques manquantes ou bringueballantes.

La technique est un peu différente quant aux ponts en bois : il s’agit alors pour le conducteur de rouler très lentement, aidé par le copilote marchant devant le véhicule et le guidant afin d’éviter que les roues ne sortent de leurs « rails », ayant préalablement fait descendre tous les passagers pour éviter un drame.

C’est d’ailleurs sur l’un de ces ponts métaliques en piteux état que nous aurons un léger incident, notre véhicule roulant à vitesse raisonnable lorsque que l’une des énormes traverses métaliques du pont se détache sous les soubresauts, venant abimer différentes parties du moteur et immobilisant le véhicule. Nous parviendrons à l’aide de tous les passagers à pousser le bus vers l’arrière afin de libérer le passage sur le pont, puis nous devrons ensuite attendre une demi-heure sous les arbres qu’un autre véhicule à destination de Madang viennent récupérer les passagers et leurs marchandises. Et cette fois, c’est à pleine vitesse que nous franchissons le pont métallique pour optimiser les chances de passage, et ça marche ! Sauf que nous allons tellement vite que 2 traverses métalliques se détachent derrière nous et créent alors un espace de 50 centimètres de vide dans toute la largeur du pont… problème qu’il reviendra de résoudre au prochain véhicule !

Nous arrivons au bout de quelques heures à Goroka, petite ville d’altitude où nous ne ferons qu’une brève escale pour déposer certains passagers avant d’en laisser monter de nouveaux.

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Goroka

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L’arrivée à Goroka marque une étape symbolique dans mon parcours en PNG car je me retrouve pour la première fois dans une ville (et dans une région) que j’avais déjà visité avec Adrien 2 ans auparavant. Retour en terrain connu, en quelque sorte ! Je reconnais vaguement la place centrale où notre minibus fait escale, avec son petit marché boueux et son grand parc bordé d’arbres où les Papous se reposent sous des parapluies multicolores qui les protègent de la chaleur du soleil. De nombreux souvenirs me reviennent, notamment les quelques jours passés en compagnie de Siasi et de sa famille dans un village tout proche.

J’avais prévu de rendre à nouveau visite à Siasi avant de continuer ma route vers Madang et Wewak, mais de nombreux « imprévus » m’ont obligé à passer plus de temps que nécessaire à Daru, à Kamusi, et puis à Tamal au cours de ces dernières semaines. Si je m’arrête aujourd’hui à Goroka, je prends le risque de cumuler encore de nouveaux imprévus (inévitables!) puis de perdre une journée supplémentaire dans un bus avant d’arriver à Madang trop tard pour embarquer sur le ferry qui ne passe qu’une à deux fois par semaine (selon les sources) et d’avoir ensuite à faire l’impasse sur d’autres projets tout en prenant le risque d’un dépassement de visa en arrivant à la frontière indonésienne…

C’est donc bien tristement que je déciderai de ne pas m’arrêter à Goroka, d’aller directement à Madang pour embarquer dès que posible sur le bateau qui m’emmènera vers la province du Sépik, et de rejoindre au plus vite la petite ville de Wewak où j’ai prévu de rendre visite à mes amis papous rencontrés 2 ans plus tôt.

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Vers le Nord…

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La route continue vers l’Est un petit moment encore après Goroka avant de bifurquer à 180 degrés vers l’Ouest dans une course sinueuse vers le Nord et la province de Madang.

Nous descendons à travers les collines de plus en plus rapidement pour bientôt laisser derrière nous cette longue chaine montagneuse que l’on suivait depuis Mount Hagen. Nous entrons alors brusquement dans une large vallée s’étirant à perte de vue en face de nous, bordée au loin et de chaque cotés de massifs montagneux à peine visibles dans la brume.

Au coeur de la vallée, la rivière Ramu coule vers le nord et la route que nous empruntons ne fait que la longer de près ou de loin. De chaque coté de la route, des cultures de canne à sucre et de palmiers à huile recouvrent intégralement le lit de cette immense vallée sur une centaine de kilomètres. C’est ici au milieu des cultures de canne que se trouve la rafinerie de sucre toujours fumante de l’entreprise Ramu Sugar, qui fait la fierté des Papous dans la région. Du sucre en poudre ou en morceaux que l’on retrouvera dans toutes les boutiques du pays, estampillé d’une étiquette bleue et verte « Ramu Sugar » et de son petit logo « PNG made » (fabriqué en PNG). L’entreprise exporte même son sucre et d’autres produits dérivés à l’étranger. Symbole de l’industrialisation du pays et d’une belle réussite commerciale, Ramu Sugar est devenu une fierté nationale. Quel Papou n’a jamais versé dans son thé du sucre Ramu ?

Le voyage est fatiguant, il fait chaud et nous n’arrêtons pas beaucoup en cours de route. Mes yeux sont tournés vers l’exterieur pendant ce long trajet, et contrairement à d’habitude il ne me vient pas l’envie de socialiser, j’ai juste besoin d’être seul. Je ne veux rien rater du spectacle qui défile de l’autre coté de la fenêtre, j’admire les paysages et observe l’évolution de la végétation région après région, dans une sorte d’ennui méditatif. Je note la disparition progressive des montagnes au profit de la plaine à mesure que nous nous rapprochons de la côte.

Puis je me sens changer de pays à nouveau. Tout va très vite. Je replonge par moment dans mes pensées et suis alors subjugué par la lenteur de progression qui a rythmé ces dernières semaines de voyage.

Au fond de moi se dessine comme un sentiment de culpabilité d’être assis dans ce bus, passif, de traverser le pays si vite et si facilement, de façon furtive, superficielle, comme on traverse la vie à toute allure les yeux rivés vers l’exterieur, oubliant dans un relatif confort la réalité du monde.

Le soleil de fin de journée donne au ciel des teintes rouges orangées, couvrant d’un drap coloré les vastes étendues de canne à sucre et de palmiers à huile avant de disparaitre progressivement derrière la chaine montagneuse des Bismarck à l’ouest, abandonnant alors toute la vallée de Ramu dans l’obscurité.

Il fait nuit depuis bien longtemps lorsque nous arrivons à Madang. Il doit être aux environs de minuit et notre bus doit encore déposer les passagers aux quatres coins de la ville. Je n’ai pas de plan, pas de contacts, pas de connaissances ici bas, pas même une carte de la ville et encore moins un guide de voyage qui m’aurait permis de dénicher une adresse pour dormir. Comme d’habitude, place à l’improvisation !

En fait d’improvisation, je dois bien avouer que cette fois je n’ai pas eu grand chose à faire pour établir le premier contact puisque le conducteur du bus, sans rien me dire, m’emmènera directement chez son frère où une chambre, un lit, et un repas sont déjà apprettés pour me recevoir… Petite maison citadine en béton habitée par plusieurs frères et cousins d’une même famille, nous faisons connaissance dans la salle-à-manger équipée d’une table en bois et de quelques chaises (choses rares en Papouasie-Nouvelle-Guinée) et même d’un poste de télévision !

Me voilà arrivé à destination après plus de 12 heures de bus sur l’une des portions de route la plus « développée » (ou la moins chaotique) du pays, reliant entre elles trois des plus grandes villes : Mount Hagen, Lae, et Madang. Quant à Port Moresby, la capitale, elle n’est pas connectée à ce « réseau routier national » car elle se situe de l’autre côté de la longue chaine de montagnes qui traverse le pays de part en part.

Je n’ai jamais bien compris pourquoi et comment je m’étais retrouvé à loger chez ces gens adorables et je n’ai plus revu ce cher conducteur de bus après ça. Je suppose que Simon lui avait donné des consignes en quittant Mount Hagen mais je croyais pourtant avoir changé de chauffeur en même temps que de véhicule lors de notre petit incident sur le pont… Peut-être que la consigne est passée de chauffeur en chauffeur, ou bien les passagers du bus auraient-ils transmis le message sans même que je m’en apercoive ? Il peut s’agir aussi d’une simple coincidence… Je ne suis sûr de rien, et puis ca n’a pas tellement d’importance !

Les Papous sont comme ça avec les voyageurs, je l’ai maintenant bien intégré : l’hospitalité est ici une valeur innée et fondamentale.

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Madang

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La nuit fût longue et réparatrice, au calme entre 4 murs et cela même malgré la chaleur et les moustiques. Retour en zone tropicale chaude et humide après un bref répis dans la fraicheur des régions d’altitude.

Je passerai la journée suivante à parcourir à pieds la très jolie ville de Madang en compagnie de l’un des mes hôtes, Desmond, qui fut le seul et unique Papou que j’eus rencontré… à utiliser Facebook ! En fait je crois que la plupart des jeunes gens vivant dans les villes ont accès à internet sur leur téléphone portable et ne se privent donc pas plus que nous pour utiliser les outils de communication et les divertissements de notre époque. Seulement je n’ai jamais passé beaucoup de temps dans les grandes villes en Papouasie-Nouvelle-Guinée…

Téléphonie mobile et internet, informatique, électroménager, équipements hifi-vidéo, accès à l’information et à la culture globale, restaurants fast-food ou exotiques, supermarchés et produits importés du bout du monde, batiments tout construits de matériaux importés, bétonnage galoppant au détriment de la forêt, développement d’entreprises de biens et de services, production industrielle, consommation, épargne, administration…
La différence entre le mode de vie d’un Papou des villes et celui d’un Papou des villages ou des forêts est saisissante, c’est un contraste absolu. Résultat de la mondialisation et du développement économique qui s’abat presque exclusivement sur les zones urbaines cotières dans un pays ou les infrastructures de transport et de communication sont quasi innexistantes.

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Le phare de Madang

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Nous marchons des heures dans toute la ville avec Desmond et son ami qui me racontent, dans un très bon anglais, leur vie citadine simple mais ennuyeuse de demandeurs d’emploi. Ils vivent sur les ressources de leur cousin qui fait du commerce de noix de bétel avec la région des Highlands.

Madang est vraiment une très jolie ville et c’est peut-être l’une des plus propres et des plus agréables du pays, grâce au développement de l’industrie du tourisme et à la présence de nombreuses ONG. La propreté éclatante des rues et des parcs contraste violamment avec l’état de saleté parfois écoeurant d’autres villes comme Mount Hagen, Lae, Port Moresby… C’est un sacré choc et une belle surprise lorsqu’on débarque tout juste de Mount Hagen !

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Madang, ballade le long de la côte

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Il me faut maintenant trouver un moyen de quitter Madang en bateau si je veux arriver rapidement à Wewak. Et ce que je pensais être une simple formalité, d’acheter un ticket pour monter à bord du ferry, se révèlera en fait beaucoup plus compliquée que prévu… Le parcours du combatant n’est pas encore terminé !

Traverser la Papouasie-Nouvelle-Guinée en surface est décidement un challenge plus compliqué encore que ce que j’avais imaginé. Je n’avais surtout pas prévu d’être confronté à de nouveaux problèmes dans une région que j’avais pourtant déjà traversée sans ennui deux ans plus tôt. Mais les infrastructures routières et maritimes ne sont pas seulement mauvaises, elles changent avec le temps et pas toujours pour le meilleur !

C’est pourquoi je vous raconterai la suite de ce périple dans un prochain article…

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Commentaire(s) (6)

Toujours agréable à te lire.
Et en tout cas, bon anniversaire Julien en ce 9 Juillet.
Et comme toujours on attend la suite.

Merci pour votre message d’anniversaire. Je serai peut-être en France l’an prochain, qui sait !?

Ca ne doit pas être facile de se replonger dans tous ces souvenirs alors même que tu t interroges sur l avenir … en tout cas sache que c est avec un plaisir une emotion et un émerveillement toujours aussi profonds que je lis tes derniers articles. Je te souhaite tout le meilleur.

Salut Jess,

Merci d’être toujours présente sur ce blog et d’y mettre un petit mot de temps à temps. Tu n’imagines pas comme ca me touche, depuis le temps que nous écrivons et que certains de tes commentaires ont marqués le blog de façon indélébile, notamment sur la période « Australie ».

C’est marrant je pensais à toi il y a quelques semaines en découvrant une chanson de « HK et les Saltimbanks » qui s’appelle : « Citoyen du monde »
–> https://www.youtube.com/watch?v=u42i-9f9yJI

Citoyen du monde, une expression qui m’avait marquée lorsque tu l’avais utilisée dans un commentaire il y a 3 ans, sur un article « Vélo/Australie », surement l’un des plus beaux compliments qu’on ne m’ait jamais fait…
Sans parler de toutes ces larmes partagées qui sont en elles-mêmes une satisfaction ultime à ce travail d’écriture et de partage.

Mais revenons à ton dernier message : c’est vrai que l’écriture devient de plus en plus compliquée à mesure que le temps me sépare de ce voyage, les mois passent tellement vite depuis que je suis rentré en France…
Mon futur très incertain, à court-moyen-long terme, et mes interrogations sans fin sur mon avenir ne m’aident pas non plus à me replonger correctement dans mes souvenirs ni à me concentrer sur un travail d’écriture en décalage temporel.

J’essaye de faire pour le mieux en ayant bien conscience de toutes ces limites et difficultés. Je sais que j’aurai beaucoup de mal à passer à autre chose tant que je n’aurai pas terminé de retranscrire sur « papier » cette aventure dans sa globalité, du départ de France en 2010 jusqu’au retour fin 2014.

Merci infiniement, Jess.

Avec bcp de retard, je reprends la lecture.
Merci,
Yogo

Yogo !!! :-)
Trop content de te revoir parmi nous mon ami !

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