Sept jours dans la jungle en Papouasie-Nouvelle-Guinée [5/5] – A marche forcée

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Publié par Froggy | Classé dans Article-photos, Océanie | Publié le 04-07-2014

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A marche forcée

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Troisième partie : « Cette route tant attendue »

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Cet article fait directement suite à
l’article précédent : « Calvaire stomacal »
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P1170631Village de Fogomayo – Jour 4 : Un peu de repos

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Fogomayo est un village de taille moyenne avec son école, son église, son petit hôpital de campagne, quelques boutiques minuscules et même sa piste de gazon pouvant accueillir avions et hélicoptères. Par contre, Fogomayo n’est pas connecté au reste du pays par voie terrestre, il n’y a ici aucune route pour sortir du village, mais seulement quelques sentiers forestiers qui partent dans toutes les directions, comme celui que nous empruntons depuis 4 jours et que nous continuerons de suivre vers le nord après d’abord une journée de repos.

Même si Fogomayo n’est qu’un hameau perdu dans la jungle, il n’est pas étonnant d’y trouver une piste d’atterrissage car la plupart des villages en PNG en sont dotés, et cela reste souvent le seul et unique moyen de transport, comme c’est le cas ici. De plus, à Fogomayo le tourisme a commencé à s’y développer, même si le nombre de visiteurs par an doit se compter sur les doigts d’une main. En effet certains amateurs, ornithologues ou simples touristes passionnés, y viennent parfois en avion depuis Mount Hagen pour observer les oiseaux dans leur milieu naturel, ainsi que pour découvrir la culture locale.

C’est pourquoi je me sentirai un peu plus à l’aise dans ce village où de nombreuses personnes parlent anglais, où les gens sont « habitués » à voir des Blancs (du moins, ils en ont déjà vus) et où je ne serai plus perçu comme un extra-terrestre. Malgré tout, l’accueil des locaux est toujours à la hauteur de sa réputation, incroyablement chaleureux. Et leur curiosité, leur soif de discussion, leur capacité à sourire avec le cœur, jamais épuisées.

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Après une première nuit passée dans la famille de Simon, je rencontrerai Cedric, l’un des instituteurs de l’école primaire qui m’invitera pour le déjeuner à un somptueux repas : une grosse assiette de riz blanc accompagnée de nouilles instantanées, différentes variétés de légumes verts (kumu) cuits dans du lait de coco, de succulentes patates douces (kaukau) cuites à l’eau, ainsi que des cacahuètes fraichement cueillies dans son magnifique jardin. Mon estomac renait de ses cendres après déjà une semaine de régime à l’infâme sagou. Je reprend du plaisir à manger, je revis ! Et, cerise sur le gâteau, je peux enfin acheter et boire du jus d’orange en poudre (appelé « Tang » ), boisson fruitée et sucrée exquise qui m’avait tellement manqué pendant ces derniers jours de trek que j’en rêvais même la nuit, en plus d’y penser à longueur de journée. Il faut dire que mon organisme n’avait absorbé aucun sucre, aucun fruit, et absolument rien qui n’éveille mes papilles depuis le début de cette randonnée.

Qu’il est bon d’être de retour à la civilisation ! Même si celle-ci n’est pour l’instant représentée que par un minuscule village. Comparé à l’isolement extrême de ces derniers jours dans la jungle, j’ai l’impression d’être arrivé en « ville » et d’avoir le monde à portée de main : je peux enfin manger du riz, des nouilles, des bananes, et boire du jus d’orange sucré. Du bonheur à l’état pur ! Je veux bien me contenter de ce régime simple mais savoureux pour le restant de mes jours !

Pendant que Simon se repose et soigne ses genoux, Cedric me fait visiter son village et m’explique, dans un anglais parfait, pourquoi il pense que l’éducation des jeunes est extrêmement importante, aussi bien pour leur avenir personnel que pour l’avenir du pays. Il me fait part de sa tristesse concernant la petite délinquance et l’absentéisme scolaire contre lesquels il s’efforce de lutter, et me parle de ses craintes en matière environnementale sur des sujets qui le touchent particulièrement : la déforestation et l’exploitation du gaz, deux activités industrielles destructrices qui font des ravages en Papouasie-Nouvelle-Guinée.

Dans sa petite maison située aux abords de l’école, les murs de toutes les chambres sont couverts de cartes géographiques, d’articles de journaux relatant de problèmes sociaux ou écologiques, de nombreuses photos de paysages du monde et des plus beaux endroits de PNG dans lesquels Cedric rêve un jour de voyager.

Cedric est certainement un excellent professeur pour ses élèves. Très ouvert d’esprit, ayant de grandes connaissances de son propre pays mais aussi du reste du monde, passionné d’histoire et de géographie, ayant même développé une conscience écologique forte, je suis heureux de le savoir enseignant et j’espère qu’il fera passer son message au plus grand nombre.

Comme Cedric ne travaille pas aujourd’hui, il profite de son temps libre pour me faire visiter son village.
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A l’intérieur de la petite église de Fogomayo, bâtiment tout de bois et de bambou.

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Cet énorme bâtiment en bois a été monté en utilisant les méthodes de construction traditionnelles, sans clou ni vis. Pas encore tout à fait terminé, il servira bientôt à accueillir les visiteurs de passage mais aussi les quelques touristes étrangers qui doivent séjourner à Fogomayo. Il n’y a pas d’hôtel dans le village, et il est souvent de tradition en PNG d’héberger gratuitement les voyageurs.

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Un hélicoptère atterrit à Fogomayo juste devant mes yeux ébahis !

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En cette belle après-midi ensoleillée, j’apprends que des personnalités importantes sont attendues sur le tarmac de Fogomayo afin d’y rencontrer le chef du village. Et ce n’est pas moins de 2 appareils, un avion ET un hélicoptère, qui atterrissent à quelques minutes d’intervalle devant mes yeux ébahis ! Quel choc de voir dans ce lieu reculé des machines aussi modernes, que je qualifierais même d’un autre monde. J’ai l’impression de voir débarquer une soucoupe volante en observant l’arrivée bruyante de l’hélicoptère.

Une troupe de danseurs en tenue traditionnelle attend les visiteurs à la sortie de l’appareil pour les accueillir en fanfare et en musique, avant de les escorter jusqu’au centre du village où des dizaines de personnes sont déjà réunies devant une estrade en bois montée pour l’occasion.

Autre surprise de taille à mes yeux, je vois apparaitre un homme blanc à la sorti du petit avion… c’est le pilote ! Un Australien d’une quarantaine d’année avec qui j’échangerai quelques mots avant de le laisser filer à ses occupations. Ca fait presque un mois que je n’avais pas vu un Blanc (un « white man » comme disent les Papous), c’est déboussolant, j’avais presque oublié que je l’étais moi-même… et j’arrive maintenant à comprendre (un petit peu) l’étonnement et la curiosité des Papous devant la peau blanche qu’ils ne voient que très rarement.

J’apprends au fil des questions que nos visiteurs papous sont les représentants d’une compagnie d’exploitation gazière venus ouvrir les négociation avec le village pour de futures explorations souterraines. Je tenterai ensuite de suivre le débat qui se déroule dans plusieurs langues à la fois (anglais, pidgin, et dialecte local) mais me lasserai assez vite de ne rien y comprendre… Et puis, je n’ai pas fait tout ce chemin à pied pour me casser la tête à suivre une discussion politico-financière très peu passionnante ! Je préfère m’en retourner à cette agréable ballade avec Cedric et terminer la visite de ce charmant village.

Ce soir, Simon et moi-même passerons la nuit chez Cedric, invités pour un diner délicieux et consistant, autant d’énergie dont nos corps ont grandement besoin avant d’attaquer notre dernière journée de marche. Le ventre plein, le sourire aux lèvres, cette dernière nuit au calme et dans un relatif confort sera exquise, tout comme le fût notre diner.

Quelle chance d’avoir pu rencontrer Cedric, ce fût une réelle bénédiction de passer une journée entière en sa compagnie, nous sommes maintenant prêts psychologiquement à reprendre la marche le jour suivant.

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A marche forcée – Jour 5 : Objectif « Waro » et dernier jour de trek

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Ce matin, une fois encore nous nous levons aux premières lueurs du soleil pour attaquer le plus tôt possible cette dernière journée de marche dont on m’annonce qu’elle va être longue, très longue… C’est sans compter la fatigue et les innombrables douleurs qui vont continuer de nous ralentir tout au long de la journée, et rendre l’épreuve encore plus difficile pour Simon comme pour moi-même.

La seule réelle motivation à reprendre la marche aujourd’hui est l’espoir d’arriver ce soir à Waro et d’en finir une bonne fois pour toute avec ce trek inhumain. Une fois là-bas, nous pourrons oublier ces journées de calvaire dans la jungle et passer à autre chose. L’objectif semble maintenant tout proche, une journée, une journée seulement de marche et nous serons arrivés au bout de l’épreuve. Je commence à apercevoir la lumière au bout du tunnel.
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Aujourd’hui, un autre Papou nous a rejoint pour cette journée de marche. C’est Vincent, il était venu rendre visite à sa famille à Fogomayo et doit maintenant rentrer chez lui à Mount Hagen où il exerce la profession de comptable pour une petite entreprise. L’avion étant assez cher, et lui-même étant un bon marcheur, il a tout simplement décidé qu’il ferait le chemin à pieds jusqu’à Waro !

Vincent parle parfaitement anglais, il fait parti des Papous ayant un haut niveau d’éducation et transporte avec lui son ordinateur portable et quelques gadgets dans son petit sac-à-dos de citadin. Cela ne l’empêche pas de passer une journée entière à traverser la jungle à pieds pour rendre visite à sa famille ou pour retourner travailler en ville !
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Je suis ravi d’avoir de la compagnie pour pouvoir discuter en anglais durant cette dernière journée de marche. Cela va rendre l’épreuve un peu plus supportable. Et puis Vincent est adorable et contre toute attente il en connait énormément sur la faune et la flore et les techniques de survie dans la jungle. De plus, il a déjà emprunté ce sentier de nombreuses fois et connait le chemin par coeur.

Peu de temps après la sortie de Fogomayo nous tombons sur une large et puissante rivière qu’il nous est impossible de traverser à pieds. Pour nous aider à passer cet important obstacle un autre Papou nous a accompagné spécialement depuis Fogomayo et nous fera traverser la rivière, en deux fois, à bord d’un petit canoé, avant de rentrer chez lui au village.
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La marche continue pour nous autres et ce pauvre Simon n’en fini plus de souffrir des genoux. Je suis moi-même épuisé beaucoup plus tôt que prévu mais je continu à avancer avec des œillères, en pensant à ce soir, au village qui nous attends là-bas, au nord, Waro, et à cette route tant attendue qui mettra fin à nos souffrances.

Le sentier est toujours parsemé de milliers de sangsues assoiffées qui parviennent à nous grimper sur les jambes malgré notre vitesse de marche. Et ces pauvres bêtes ont la mauvaise idée, pour elles comme pour moi, de se laisser tomber dans mes chaussures après s’être gorgées de sang pendant des heures. Je découvre alors avec horreur l’état de mes chaussettes, baignant dans une purée de sang coagulé provenant des dizaines de ces bestioles écrasées sous mon propre poids à l’intérieur de la chaussure. C’est une horreur ! Je ne cherche même plus à nettoyer quoi que ce soit, la boue omniprésente et les traversées de rivières s’en chargent pour moi, en attendant le grand nettoyage de l’après-trek.
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Cette dernière journée de marche est particulièrement difficile en terme de dénivelé, nous approchons de la région des « Highlands » (les montagnes), et le terrain est de plus en plus vallonné, avec un dénivelé positif très important, ça monte, ça monte… Nous avons droit à beaucoup d’épreuves d’escalade aujourd’hui, parfois à quatre pattes pour grimper de longs escaliers de rochers brinquebalants, ou au contraire, sur des pentes glissantes et terrifiantes qu’il faut descendre sur les fesses afin d’assurer une meilleur sécurité et ralentir la chute, en cas de dérapage. Simon souffre beaucoup dans ces passages d’escalade, que ce soit en montée ou en descente, ses genoux payent cher la difficulté du terrain.

Qu’est-ce que c’est dur !
Comme pour les jours précédents, nous avançons laborieusement dans un indescriptible bourbier et devons enjamber les millions de racines qui s’étalent au travers de notre chemin. Tout en gardant un rythme de marche soutenu afin d’arriver à Waro avant la tombée de la nuit… Quel enfer ! Je suis à bout, réellement à bout de force, aussi bien physiquement que moralement. Il est temps d’en finir avec ce trek.
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Village de Waro : Une piste de gravier, la fin d’un calvaire

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Nous arrivons en toute fin d’après-midi sur ce qui ressemble à une porte de sortie tout au bout du sentier forestier que nous suivons depuis maintenant une semaine. Nous débarquons alors sur une zone ouverte et déboisée avant de rejoindre la piste de gravier qui nous attend comme un immense tapis rouge au milieu de ce très long couloir forestier. Tapis rouge couvert de gravier gris qui nous mènera directement à Waro après encore une heure de marche.

Je savoure intensément la sensation de marcher sur du plat, du lisse, du sec, du propre, du « tout droit » et du « sans obstacle », c’est tellement facile ! Je me régale d’avancer sur cette piste voluptueuse, sur laquelle je n’ai plus besoin de regarder mes pieds en permanence, et sans l’appréhension continuelle de trébucher sur une racine ou de m’enfoncer dans la boue. Je peux enfin relever la tête, regarder devant moi, voir au loin, oublier l’angoisse de la chute, et puis enfin admirer les arbres qui bordent la route et le soleil qui se couche derrière les cimes dans un spectacle flamboyant.

Que c’est beau, un coucher de soleil ! Observer le ciel et sa lumière puissante, les nuages et le vent qui les animent, et puis les étoiles pour finir en beauté.

Que c’est bon d’être sorti de la forêt, d’avoir enfin de l’espace au dessus de nos têtes ! La canopée omniprésente de la jungle avait fini par me rendre claustrophobe.
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Nous arrivons de nuit au village où l’une des tantes de Simon nous attend après avoir été avertis par téléphone de notre arrivée. Une fois encore nous avons droit à un accueil des plus chaleureux, des sourires sincères qui réchauffent le coeur, des sodas frais pour se désaltérer et puis un diner déjà sur le feu…

A Waro, on peut dire que nous avons réellement changé de région par rapport à Musula qui marquait le tout début de notre randonnée. Nous avons pris de l’altitude, ici le climat est beaucoup plus frais, les nuits sont froides. Les habitations, en conséquence, sont beaucoup plus petites. Un seul feu de bois suffit alors pour maintenir l’intérieur à bonne température durant la nuit et dormir confortablement. Autre changement notable : le régime alimentaire est très différent dans les montagnes : fini le « sagou sans-goût » à chaque repas ! Ici la nature nous offre des patates douces à profusion, et c’est donc naturellement la nourriture de base des Papous des montagnes, que l’on accompagne parfois de légumes verts (kumu), de cacahuètes, ou encore de riz si l’on a la chance d’habiter dans un village « moderne » disposant d’un magasin. Je me régale de ce régime à base de patates douces cuites sur les braises !

Epuisés par cette dernière journée de marche qui fût plus longue et plus difficile encore que les précédentes, nous nous endormons tous les uns à coté des autres sur le sol de la petite pièce qui sert habituellement de cuisine et de salle-à-manger. La nuit sera douce et calme, le feu de bois crépite dans l’angle de la pièce et quelques chats adorables s’endorment à nos cotés comme pour nous accompagner vers le royaume des songes.

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Cette route tant attendue

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Simon n’a pas prévu de passer plus d’une nuit à Waro, qui n’est qu’une étape pour lui comme pour moi vers Mount Hagen au coeur de la région des Highlands.

Nous nous levons cette fois bien avant le lever du soleil, pour prendre le tout premier bus de la journée qui nous emmènera vers Mendi, première étape avant Mount Hagen.

C’est ce matin que nous devons dire Adieu à nos trois braves guides et coéquipiers qui nous ont accompagné tout au long de cette randonnée dans la jungle : Kimsley, Gassie, et Gopek.

Je crois qu’ils sont vraiment attristés par cette séparation. Même si nous n’avons pas pu beaucoup communiquer à cause de la barrière de la langue, nous avons vécu ensemble une aventure extraordinaire. Ils se sont occupés de moi comme d’un frère du début jusqu’à la fin et je leur suis infiniment reconnaissant… Simon, avec qui je vais encore voyager pendant quelques jours, a les larmes aux yeux en assistant à cette scène chargée de tristesse. Je découvre à quel point il est sensible et émotif.

Comme partout en Papouasie-Nouvelle-Guinée, les bus n’ont pas d’horaires fixes, il n’y a d’ailleurs pas de compagnie de transport mais seulement des particuliers qui ont investis dans des véhicules (jeeps ou minibus) et qui ensuite proposent leurs services de « transport publique ». Ce matin par exemple, on sait seulement que le bus va passer entre 6h00 et 8h00, sans plus de précision. Ca dépend de l’heure à laquelle le chauffeur s’est réveillé, ça dépend de l’état du véhicule et de l’état de la route, de la météo, etc.

Nous sommes donc prêts à 6h00 pétante ce matin pour attendre le bus sur le bord de la route avec tous nos sacs… Bus qui arrivera finalement une heure plus tard, ce qui est qui plutôt un bon timing.

La piste de gravier se transforme petit à petit en une piste bitumée et je découvre que cette route sur laquelle nous roulons n’est pas encore tout-à-fait une route publique officielle. En effet nous traversons une immense zone d’exploitation gazière entre Waro et Mendi, sur laquelle nous devrons patienter des heures à plusieurs checkpoints afin d’obtenir les autorisations de passage.

Activité humaine importante, zones de forage et bâtiments industriels, câbles électriques par centaines et autres énormes gazoducs de part et d’autre de la route… Un retour choc à la civilisation industrielle et un terrifiant contraste avec le rythme de vie paisible qui se déroule dans la jungle toute proche.

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Ville de Mendi – Province des Southern Highlands

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Nous arrivons dans la matinée à Mendi, petite ville sale et laide entourée de massifs montagneux à peine visibles dans la brume.

C’est ici que semble se trouver le centre de commandement de la compagnie d’exploitation gazière, où des infrastructures ultra-modernes surgissent au milieu des habitations de bois et de tôle.

A quelques mètres seulement des avenues inondées et des petits vendeurs de rue pieds nus dans la boue, d’énormes hélicoptères double-hélice, comme je n’en avais jamais vu avant, décollent et atterrissent dans un ballet incessant, transportant avec eux du matériel lourd suspendus à des câbles métalliques flottant dans les airs. Je ne parviens pas à décrocher mon regard de ces gigantesques libellules de fer qui s’agitent dans le ciel dans un brouhaha infernal. Je suis sur une autre planète.

Pour tuer le temps avant d’embarquer à bord de notre prochain bus nous faisons un tour au marché local où des dizaines de petits stands s’étalent sur un terrain boueux et immonde, couvert de crachats rouges, de coquilles de noix de bétel, de sacs plastique usagés et de détritus en tout genre.

Dans cette crasse sans nom se mélangent : d’innombrables vendeurs de noix de bétel et de cigarettes à l’unité (Marlboro originales ou simples roulées prêtes à l’emploi), des vendeurs de boissons fraiches, cannettes de Coca ou Fanta baignant dans un coffre rempli de glace, des vendeurs de noix de coco, bananes, biscuits et petits pains, et quelques porcs bien gras vagabondant entre les étals du marché en attendant d’être tués, découpés puis vendus sur ce même marché sous différentes formes.

Simon et moi-même sommes affamés, affamés de ne rien avoir avalé pour le petit-déjeuner, affamés aussi d’avoir subi pendant une semaine un régime alimentaire rudimentaire. Nous nous régalons maintenant de ces succulents morceaux de viande ultra-gras, cuits sur les braises et dégoulinant encore de graisse huileuse, chaude et odorante, que nous mangeons en sandwich entre 2 morceaux de pain. Accompagné de Coca frais, sucré, gazeux et délicieux… Un régal pour nos papilles à l’agonie.

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Encore un petit effort …

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Nous montons enfin dans le bus qui nous emmènera jusqu’à Mount Hagen, où nous arrivons en milieu de soirée après une journée de route chaotique sur un revêtement complètement défoncé, voire inexistant.

Personne ne sait exactement à quoi sert l’argent des taxes dans cette région, mais on sait au moins à quoi il ne sert pas : l’entretient des routes. Comme partout en PNG, il n’est pas difficile d’imaginer qu’une poignée de crapules se rempli les poches de Kinas en oubliant toutes les belles promesses électorales et surtout les besoins les plus essentiels des habitants. Les gens ont beau râler, rien ne changera tant que les têtes ne tomberons pas.
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Sur la route de Mount Hagen

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Il nous faudra ensuite embarquer à bord d’un troisième mini-bus pour rejoindre le petit village de Tamal où habite la famille de Simon, encore 3 heures de route sur une terrible piste de cailloux digne d’un chemin de campagne du moyen-age. Il fait maintenant nuit depuis plusieurs heures et le déluge qui s’abat sur nous pénètre dans l’habitacle à chaque bourrasque au travers des fenêtres sans vitres du véhicule.

Je suis tellement fatigué de cette journée de bus épouvantable que je regrette presque les journées de marche dans la jungle. Il fait maintenant trop froid et trop humide dans l’habitacle pour parvenir à trouver du repos, et il n’est même pas question d’essayer de dormir sur cette horrible piste lorsque toute l’attention doit être portée à éviter de se cogner la tête contre le plafond du véhicule à chaque rebond dans les nids-de-poule et autres crevasses.

Simon est heureux, il peut discuter dans son dialecte avec le chauffeur du mini-bus qu’il connait bien. Il est maintenant chez lui, de retour au pays natal ! Il est à l’aise et souriant, parle avec tout le monde, il en oublie même pour un moment ses méchantes douleurs aux genoux. Je suis beaucoup moins satisfait que Simon de mon arrivée dans les Highlands… un voyage en bus sans fin sur une piste cauchemardesque.

Nous arrivons à Tamal au milieu de la nuit sous une pluie froide qui tombe toujours en trombes. L’un des oncles de Simon, prévenu par téléphone de notre arrivée, nous attend sur le bord de la route avec un parapluie, une lampe torche et un large sourire. Nous devons marcher encore 10 minutes sous la pluie, sur un chemin de boue glissant, avant d’arriver enfin sur le palier de la maison, petite chaumière en bois où l’on pourra se réchauffer autour du feu, manger quelques patates douces pour se remplir l’estomac et enfin… aller dormir.

Dormir !

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Le point GoogleMap

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Carte de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Les pointillés en vert correspondent à la série des 5 articles « Sept jours dans la jungle en Papouasie-Nouvelle-Guinée ». Le tracé en bleu correspond au voyage préliminaire en bateau depuis Daru.

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Zoom sur le quart sud-ouest de la PNG où je me trouve actuellement, et les détails de mon périple depuis Daru jusqu’à Mount Hagen. (cliquez sur l’image pour l’agrandir)

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Zoom sur la zone de randonnée, entre Musula et Waro, avec les 2 étapes « villages » que furent Watubu, le tout premier jour, et Fogomaiu (Fogomayo) vers la fin du périple, juste avant la traversée de rivière en pirogue. Nous longeons de loin le Mont Bosavi, sur notre gauche, cet encien volcan aujourd’hui recouvert par la jungle. (cliquez sur l’image pour l’agrandir)

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Commentaire(s) (7)

Salut Julien !
Et bien voilà la fin d’une belle aventure :-)
Merci à toi de nous avoir fait partagé ce moment, qui restera pour toi un grand souvenir, je n’en doute pas.
J’ai vu que tu es sur le chemin du retour. Tu n’as pas mentionné l’Europe du Nord (Suède, Norvège…) et tu n’y es pas passé à l’aller. Ces pays ne t’intéresse pas ?
En mode trek, avec les paysages passant des Fjords au Lacs, il y a de quoi se régaler je pense ;-) (ou une semaine de chiens de traineau en Laponie)
A bientôt donc, et si jamais tu passes par l’Alsace sur le retour dans 1 ou 2 ans, fait moi signe. J’y serai toujours si tout va bien :-)
Nico

Salut Nicolas !

Oui la fin d’une aventure c’est vrai, et en même temps une aventure qui ne s’est réellement terminée qu’une fois passée la frontière à l’ouest et totalement sorti de PNG ! :-)
(Que je raconterai brièvement dans les prochains articles) .. mais à ce moment là on peut dire que le plus gros est derrière moi, c’est vrai, et ça j’en suis heureux!

Mon plan à présent est de rentrer en France le plus « rapidement » possible, du moins par le chemin le plus direct, donc la ligne droite, qui ne passe pas par l’Europe du Nord.
Mais ca ne veut pas dire que ces pays ne m’intéressent pas, bien au contraire, et j’espère bien y aller un jour au l’autre, dans un avenir proche, pour un « petit » voyage dédié à cette partie de l’Europe.

D’ailleurs, tu ne le sais peut-être pas(?), j’avais été passer 2 semaines en Norvège-Suède-Danemark il y a de ça déjà quelques années, et c’était même avec Romain ! Mais nous étions restés dans la partie sud et n’avions pas du tout visité la Laponie, le Grand Nord, la région des chien de traineaux… Donc ca reste dans mes projets de voyage ! :-)

Au fait, j’espère être rentré d’ici 6 mois, et non pas dans 2 ans!!, donc si je traverse l’Alsace dans 6 mois, je te ferai signe !

Nous voilà encore une fois scotchés à tes aventures.
C’est vrai que ces sangsues tombant au fond de tes chaussures gorgées de sang, et formant une espèce de « semelle rouge »….enfin bref on imagine !
Tout comme Nicolas je pense aussi que cette aventure, en PNG, t’aura surement marqué pour le restant de ta vie.
Les photos sont magnifiques.

C’est vrai que je garderai le souvenir de cette aventure à vie, pas de doute…

Ce que j’ai réalisé aussi en marchant à travers cette jungle, c’est qu’une randonnée, une « vraie » randonnée comme on en fait en France ou partout ailleurs, avec son joli petit sentier, son marquage coloré pour ne pas se perdre, ses points de vue « scéniques » pour admirer le paysage, éventuellement accompagnée de cartes topographiques et de refuges ou d’endroits prévus pour camper, est bel et bien une activité de loisirs qui n’a rien à voir avec la façon dont vivent et se déplacent les tribus « primitives ».

Et je suis maintenant tellement heureux de pouvoir re-faire de la randonnée-loisirs, et non de la randonnée-calvaire comme ici en PNG.

En bref, après cette aventure dans la jungle je ne verrai plus l’activité « randonnée » de la même façon.

salut Julien,
toujours un grand plaisir de te lire et visionner tes photos…
Finalement tu sembles ne plus vouloir aller au Japon et faire l’impasse du continent américain…

Salut Pascal,

en effet mon itinéraire a beaucoup changé depuis que j’ai quitté l’Australie, et je compte maintenant rentrer en France par l’ouest et non par l’est. Le continent nord-américain ne m’attire pas plus que ca, le sud m’intéresse beaucoup plus mais il mériterait que je m’y attarde au moins un an, voire 2, et je ne veux pas rentrer en France dans trop longtemps. Enfin le Japon.. je suis très déçu de ne pas y aller mais du coup il ne se trouve plus sur ma route…

Et puis je rêve aussi depuis longtemps de visiter l’Iran, et la Birmanie. Il y a également l’Inde qui me manque beaucoup après un premier passage il y a 4 ans et j’ai hâte d’y retourner… donc finalement ce nouvel itinéraire correspond tout à fait à mes à mes envies, et surtout il a l’avantage d’être direct et assez court en terme de temps de voyage.

Pour ce qui est des autres parties du Monde, j’espère bien y aller un jour, que ce soit le Japon, l’ensemble du continent américain ou encore l’Afrique.

C’est bon de poser les affaires, de s’asseoir, d’être « au repos » pour quelques temps, après une telle aventure.
Quels souvenirs ça te fait!
Merci de partager.
Courage pour le passage de frontière vers l’Inde.
Dis moi Namaste par email dès que possible :-)

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