Sept jours dans la jungle en Papouasie-Nouvelle-Guinée [4/5] – A marche forcée

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Publié par Froggy | Classé dans Article-photos, Océanie | Publié le 04-07-2014

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A marche forcée

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Deuxième partie : « Calvaire stomacal »

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Cet article fait directement suite à l’article précédent : « Retour aux sources »
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P1170598A marche forcée – Jour 2 : « Objectif Bush-House »

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La nuit fut courte et le sommeil superficiel. Le réveil est encore plus froid que ne l’a été l’ensemble de la nuit. Et c’est au moment où la fatigue avait fini par me tomber dessus, c’est à dire une heure environ avant le levé du soleil, que les gars s’activent et se mettent à préparer le « petit-déjeuner ». Premier repas de la journée sans grande surprise : sagou cuit en tube de bambou, accompagné d’un peu d’eau fraiche piochée directement dans la rivière.

Nous nous levons très tôt car cette nouvelle journée de marche va être longue, encore plus longue qu’hier… Mon corps froid et endolori n’a pas tellement de mal a sortir d’un sommeil qui ne fut que partiel et le feu de bois m’aide aussi à émerger, m’attirant de sa lumière chaude et de sa chaleur lumineuse vers un réveil presque agréable, les mains pendues au dessus des flammes.

Je quitte la grotte avec un léger pincement au cœur, cette crevasse naturelle qui m’a accueilli pour une nuit dans son petit foyer confortable et qui ne semble exister que dans ce but, celui d’héberger les voyageurs de passage exactement à l’endroit où ils en ont besoin. Cette jolie grotte qui fût mon refuge pour une nuit, moi le voyageur sans-abris, je ne peux qu’admirer ce que la nature m’a offert dans cet endroit improbable : un oasis de pierre dans un désert de racines et de boue. Je lui suis redevable, à cette nature généreuse et astucieuse. Je la remercie humblement, avant de me réjouir du fait que je ne remettrai jamais les pieds ici.
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Mon léger torticolis passera rapidement après le réveil et la seule douleur persistante est celle des mes plantes de pieds qui me brulent, me lancent, me tirent, me font souffrir au moindre contact avec le sol. La nuit, si elle a permis a mon corps de récupérer un peu, n’a rien soulagé de mes douleurs plantaires.

C’est pourquoi je décide ce matin de remettre mes chaussures, peu importe qu’elles soient encore mouillées, peu importe que la semelle soit si fine et glissante, peu importe la journée de boue et de rivières qui m’attend, la douleur est maintenant insupportable et il est clair que je ne peux pas continuer pieds nus une journée de plus.

Dès les premières minutes de marche, mes pieds revivent. Je revis. Je peux maintenant marcher plus vite et sans souffrir inutilement. Je ne fais plus le difficile et traverse à présent les torrents et les rivières avec les chaussures aux pieds.

Le fait de m’être libéré de mon sac me fait aussi gagner quelques km/h de vitesse mais ça ne suffit pas pour suivre le rythme des gars qui eux « volent » littéralement au dessus du sentier, survolent les millions de racines qui font du chemin un véritable parcours du combattant, et glissent au dessus des marres de boue sans le moindre accro, sans douleur et sans fatigue.

Je les admire, mais c’est tout ce que je peux faire ! Impossible de les rattraper.

Simon reste a mes cotés pendant la marche et se plaint maintenant d’une violente douleur au genou, qui ne l’empêche pas encore d’avancer mais qui semble réellement le faire souffrir. Pour soulager cette douleur il s’applique des sangsues sur le genou, qui lui sucent le sang pendant plusieurs dizaines de minutes jusqu’à être rassasiées. Il semble que ce soit une méthode traditionnelle des Papous de la forêt pour soigner tous types de maux ! Je ne suis pas convaincu de l’efficacité des sangsues sur une douleur articulaire mais Simon m’affirme que ça le soulage un peu, alors… pourquoi pas ! Pour le dépanner, je lui refile toutes mes sangsues que je décolle de mes pieds pour les poser délicatement sur son genou comme autant de petits pansements-réparateurs.

Je me découvre également une légère douleur à l’aine durant cette journée de marche, pas trop handicapante mais je devrai tout de même anticiper les mauvais appuis qui se révèlent douloureux.
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Entre traversées de rivières et dérapages non contrôlés dans la boue, la nature nous offre quand même quelques consolations aujourd’hui. D’abord, celle des yeux : nous avons à nouveau la chance d’observer des Oiseaux de Paradis ! Perchés tout en haut dans la canopée, ils nous narguent de leurs cris stridents.

Notre marche laborieuse, en appui sur nos « deux pattes arrières » doit bien les faire rigoler, eux que la nature a doté de deux ailes fonctionnelles et qui peuvent ainsi voler si facilement d’arbre en arbre.

Autre consolation, celle des papilles cette fois : Les gars sont parvenus à pécher quelques petits poissons à l’aide de leurs harpons, dans l’un des innombrables torrents que nous traversons ou que nous remontons à longueur de journée. Nous les gardons bien au frais pour ce soir…
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Cette deuxième journée de marche ressemble beaucoup à la première, les chaussures en plus, le sac en moins. Un véritable parcours du combattant, d’une difficulté extrême, semé d’embuches, parsemé d’obstacles en tout genre.

Des marres de boue à contourner, d’autres qu’il faut passer en sautant de rocher en rocher ou de branches mortes en racines, des traversées de rivières à ne plus pouvoir les compter, des épreuves d’équilibre sur tronc d’arbre à couper le souffle, des dérapages dans la boue, des chutes au milieu de rochers glissants, des kilomètres de racines en escalier, des dénivelés de plus en plus importants et quelques dangereuses descentes dans des torrents de boue, des éraflures et des coupures en tout genre sur la végétation pas toujours hospitalière, des chenilles urticantes, des moustiques, des démangeaisons, des sangsues par centaines et du sang qui coule à n’en plus finir le long des jambes…

La fatigue qui s’accumule.
Des douleurs persistantes.
Et un estomac qui se vide.
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Deuxième nuit dans les bois – « Calvaire stomacal »

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En fin d’après-midi nous arrivons comme prévu au camp de sagou que les gars appellent « Bush House » (la cabane forestière). Quelle belle surprise de voir apparaitre ces petites constructions en bois après déjà 2 jours de marche sans croiser le moindre signe de civilisation.

P1170601Mais ce minuscule camp n’est constitué que de quelques bicoques seulement, et à notre grand désespoir il est actuellement inhabité.

Ca ne doit pas être la bonne saison pour le sagou… Ou serait-ce un camp d’autre chose ? De culture de légumes ? De chasse ? De retrait méditatif ?… Je n’en ai en fait pas la moindre idée car la fatigue collective et les problèmes de communication en pidgin me laissent en permanence dans un brouillard d’incompréhension avec lequel je dois m’accommoder.

D’après la réaction de mes coéquipiers, le fait qu’il n’y ait absolument personne ici n’était pas spécialement au programme… D’ailleurs, je découvre au passage que nous ne transportions du sagou que pour 2 repas seulement, et pas du tout pour 3 jours en autonomie ! Nous sommes tout simplement à cours de nourriture alors qu’il nous reste en théorie 3 repas à avaler avant d’arriver, demain soir, à Fogomayo. C’est la catastrophe ! Comme si la fatigue ne suffisait pas comme ça, il va maintenant falloir continuer avec l’estomac vide !

Dans un élan d’espoir, ou de désespoir, les gars repartent en expédition dans la jungle pendant plus d’une heure jusqu’à la tombée de la nuit, armés de leurs arcs et de leurs flèches, se déplaçant dans toutes les directions à la recherche d’autres camps potentiellement habités, mais aussi de fruits, de légumes, d’animaux à attraper, et de tout ce qui pourrait nous constituer un diner.

Malheureusement la chance n’a pas été de leur côté… Les autres camps visités, vides. La chasse, rien. La pèche, pas mieux. Les fruits, zéro. L’un d’eux seulement revient des bois les mains chargées de concombres sauvages et de kumu (sorte d’épinard) qui constituerons ce soir notre repas, accompagné des quelques petits poissons péchés dans l’après-midi.

Un repas absolument insignifiant au vu de notre profonde fatigue et de notre appétit démesuré. N’ayant presque rien mangé pour le déjeuner (quelques biscuits secs tartinés d’une mince couche de viande hachée, à peine de quoi nous ouvrir l’appétit), nous rêvions tous d’un diner festif et consistant. Je m’imaginais déjà en train de tourner la broche d’un énorme sanglier cuisant lentement au dessus des flammes… Ca ne sera pas le cas ! Il faudra se contenter d’une micro-portion de concombres et d’épinards, et s’estimer heureux d’avoir quelques arrêtes de poisson à grignoter !

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A défaut de sanglier, ce sont mes chaussettes que je fais cuire sur les flammes…

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Nous nous endormons ce soir dans l’une de ces baraques inoccupées, tous les 5 allongés autour du feu sur une paillasse de bambou et nous tachons de trouver le sommeil malgré les gargouillements de nos estomacs insatisfaits.
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A marche forcée – Jour 3 : « Objectif Fogomayo »

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Nuit froide mais légèrement plus confortable que la précédente. Cependant, impossible de trouver le sommeil avec l’estomac vide.

Nous finissons nos toutes dernières réserves de nourriture avant d’attaquer cette nouvelle journée de marche : 2 paquets de biscuits de 60g chacun, une petite boite de conserve contenant environ 200g de pâté de viande, et quelques concombres… que nous partageons à cinq personnes, cinq ventres affamés ! Un petit déjeuner de champion pour une troisième journée de trek qui s’annonce palpitante !

Sans surprise, cette journée est encore plus dure que les précédentes. Je suis fatigué, exténué, j’ai mal partout et ma petite douleur dans l’aine de la veille me fait maintenant souffrir à chaque fois que je pose un pied devant l’autre. Quant à mes plantes de pieds, elles sont toujours dans un piètre état et la douleur encore vive, même à l’abri dans leurs chaussures protectrices.

Chaussures… déglinguées et boueuses, chaussettes trempées, trouées, mes pieds souffrant sont maintenant couverts d’ampoules dont la douleur superficielle ne rivalise pas avec celle de mes genoux, de mes chevilles et de mes plantes de pieds.

Simon se plaint de méchantes douleurs dans les 2 genoux, il boite et avance de plus en plus lentement, aidé d’un très gros bâton de marche. Avec toutes ces sangsues collées sur ses genoux sanguinolents, il n’est pas beau à voir. Je prends son petit sac-à-dos et toutes ses affaires sur mes épaules pour le soulager un peu, tandis que les gars continuent de porter mon « gros » sac-à-dos sans trop fournir d’effort et sans souffrir plus que ça.

Nous marchons tellement vite, c’est insoutenable. Je sais que nous n’avons pas le choix si nous voulons arriver à Fogomayo ce soir. Je n’en veux pas à mes camarades de me faire souffrir autant, de me faire marcher à une telle vitesse sur un terrain aussi accidenté, ça n’est pas une option, c’est une obligation.

Et quelle horreur de randonner le ventre vide, j’ai envie de ramasser toutes les feuilles qui se trouvent sur mon chemin pour m’en remplir l’estomac ! L’énergie me manque drastiquement, mes muscles souffrent à chaque mouvement et j’ai de plus en plus de mal à suivre le rythme qu’on m’impose. Je fais tout pour optimiser mes déplacements, évitant tout geste inutile. Je ne ferai pas, par exemple, ce simple pas supplémentaire pour aller admirer une petite fleur ou une jolie chenille colorée. Je marche avec des œillères et je tente d’oublier l’endroit dans lequel je me trouve, d’oublier les douleurs et la faim qui me tiraille le ventre. Dans ce genre de situation il vaut mieux devenir insensible et méditatif, seul moyen de garder la force d’avancer.

Soudain, une étrange surprise. Un chien sorti de nul part vient à notre rencontre et nous renifle les jambes sans aucune agressivité. Un chien domestiqué, ça ne fait aucun doute. Dans la minute qui suit nous tombons nez-à-nez avec deux Papous, les bras chargés de sagou, qui nous saluent en souriant et entament la conversation. Nous leur expliquons notre périple depuis Kamusi, notre intention d’arriver à Fogomayo ce soir, et notre petite mésaventure de la nuit dernière lorsque nous avons découvert le camp totalement désert et sans aucune provision de nourriture.
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Je n’ai jamais su ce qu’ils faisaient ici au milieu de cette jungle, à une demi-journée de marche de Fogomayo et à plus de 2 jours de Watubu. Peut-être habitent-ils un camp de nomades dans les environs, ou peut-être travaillent-ils en ce moment dans un camp de sagou tout proche ? Quoi qu’il en soit, la providence nous a souri, car ils transportent avec eux des rouleaux de sagou déjà cuits qu’ils nous offrent sans hésiter en comprenant à quel point nous sommes affamés. C’est un miracle ! C’est au moment où l’on s’y attendait le moins, à peu prêt à l’heure du déjeuner quand nos estomacs déjà vides tirent à nouveau la sonnette d’alarme, que le hasard, le divin, les esprits, la chance… nous offrent ce cadeau tombé du ciel que nous dévorons en quelques instants !

Nous avons aussi droit à quelques morceaux de gingembre sauvage que nous croquons à pleines dents pour pimenter un peu le « sagou-sans-gout ». Même si nous ne mangeons toujours pas à notre faim, nous pouvons enfin avaler quelque chose de consistant et avons ainsi de quoi tenir jusqu’à ce soir.

La marche se poursuit sans grande surprise, nous progressons plutôt rapidement dans ce bourbier mais non sans y laisser quelques plumes. Et c’est encore et toujours plus de boue qui nous attend à chaque nouvelle section, après chaque nouveau virage. C’est inimaginable, de la boue en permanence, des mares de boue si larges et profondes que nous nous enfonçons parfois jusqu’à hauteur du genou !

Je connaissais la réputation de la Papouasie-Nouvelle-Guinée en matière de boue et de randonnée « extrême », j’en fais maintenant l’expérience ! Je pense notamment au « Kokoda track » , ce célèbre sentier forestier à l’est du pays où ont combattues les forces australiennes et japonaises durant la seconde guerre mondiale. Sentier devenu un lieu de pèlerinage historique pour de nombreux randonneurs australiens.
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Nous arrivons au village de Fogomayo en toute fin d’après-midi et c’est une fois encore de vieux amis à Simon qui nous invitent à passer la nuit chez eux. Les gars profitent d’être ici pour rendre visite à leur famille éloignée qu’ils ne voient pas souvent. Nous mangerons pour le diner encore et encore ce fichu rouleau de sagou sans aucun gout qui commence à me sortir par les yeux !

Quelle journée de marche épouvantable ! Je crois que nous avons passé plus de 10 heures aujourd’hui à braver la jungle quasiment sans interruption. Ca fait 3 jours que nous avançons à ce rythme et il était temps d’arriver dans un endroit où nous allons enfin pouvoir nous reposer, avant l’ultime journée de marche jusqu’à Waro…

En effet, nous étions censés reprendre la route le jour suivant mais nous décidons d’un commun accord avec Simon de rester ici une journée supplémentaire, pour reprendre des forces et calmer un peu les nombreuses douleurs musculaires et articulaires qui nous font tant souffrir… Et je crois surtout que ce pauvre Simon n’aurait pas pu marcher avec de telles douleurs dans les genoux. Alors, reposons-nous, nous en avons besoin… car ca n’est pas encore terminé !

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Suite de l’aventure dans le prochain article…
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Commentaire(s) (7)

whoahhh!
Superbe récit. Merci de nous faire partager cette aventure

Encore et toujours aussi intéressant à te lire. Impression persistante de parcourir un livre d’aventures, au point de se demander si c’est réel. Il y a encore des contrées qui
sont « pures », « inexplorées » et avec des habitants qui semblent adaptés à toutes les difficultés topographiques et d’approvisionnement et de survie.
Tout cela a l’air fabuleux à vivre….. de notre chaise !
Prudence quant même et on attend la suite.

C’était bien réel !

Je ne sais pas s’il existe encore de nombreux endroits « inexplorés » dans le monde, comme la Papouasie. J’imagine que dans toutes les jungles d’Asie du sud-est il y doit bien y avoir encore quelques tribus déconnectées du monde, et puis bien sur en Amérique du sud, en Amazonie, et puis en Afrique…

L’avantage en PNG c’est que ces endroits sont « accessibles », les habitants sont accueillants et parlent généralement anglais (ou au moins le pidgin, mélange d’anglais cassé et d’autres langues). Ca rend le voyage possible en indépendant. Je ne sais pas si c’est aussi facile de voyager dans la jungle amazonienne ou dans des contrées reculée d’Afrique.

Hello,
Encore un article aussi palpitant que les précédents, à la différence que cette fois-ci, je n’ai pas envie de me retrouver à ta place dans cette aventure ^^ Après, c’est toujours aussi génial à lire ;-)
Pour les sangsues, en plus de l’effet anticoagulant, ont-elles un effet anti-inflammatoire ? Cela pourrait expliquer pourquoi elles soulageaient Simon, non ?
Article 4/5… hum… Plus qu’un article et nous découvrirons la fin de ton aventure dans la jungle de PNG ! :-)
Bonne continuation,
Nico

Merci Nicolas!
En effet, ca m’a laissé de bons/nombreux souvenirs, mais je n’y retournerai pas !

Tu as raison pour les sangsues, leur morsure (leur salive) a aussi un effet anti-inflammatoire, c’est pour ca qu’elles soulagent certaines douleurs et sont parfois utilisées en médecine alternative.

Un court article sur la « médecine par les sangsues » (hirudothérapie), interressant : http://www.enquetesdesante.com/revue/Hirudotherapie.html

L’aventure, à l’état pure.
Je sais bien qu’arrive un moment, on n’avance plus que par automatisme et que le courage n’est plus vraiment le mot pour décrire la volonté de continuer, mais quand même, je tiens à saluer ici ta prouesse.
Et encore une fois, merci de nous la faire partager avec autant d’émotion.

Bravo pour ce récit.Une bonne expérience
Cldt.
Patrick

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