Du bateau-stop en Papouasie-Nouvelle-Guinée [3/3] : Au coeur de la jungle

10

Publié par Froggy | Classé dans Océanie | Publié le 19-03-2014

Mots-clefs :, , , , , , , , ,

P1170325Introduction

.
Trois jours se sont écoulés depuis que j’ai quitté Daru. Trois jours et trois nuits passés sur le cargo à bivouaquer en compagnie de l’équipe de travailleurs papous (voir l’article précédent).

Comme toujours depuis mon arrivée en Papouasie-Nouvelle-Guinée, je découvre au compte-goute les informations concernant mes prochains mouvements, j’avance à l’aveugle. En l’occurrence, c’est sur le cargo que j’apprends que le cargo en question n’ira pas plus loin qu’Umuda, son lieu d’ancrage actuel. On m’explique alors avec de grands sourires chaleureux, mais très peu de détails, le déroulement de la suite de mon voyage sur un petit bateau-remorqueur jusqu’au camp forestier de Kamusi, ou serait-ce celui de Panakawa ? Ou bien l’un des camps secondaires dont les noms m’échappent ? Les avis diffèrent. Par contre on me fait savoir avec plus de certitude que je vais remonter l’immense rivière Fly jusqu’à l’endroit où elle devient trop étroite pour la navigation des bateaux. A moins que ce ne soit sa petite sœur la rivière Bamu? Ou l’un de ses affluents… ? Rien n’est moins sur !

Comme le disait Confucius dans d’autres termes : « Peu importe la destination, ce qui compte c’est le chemin à parcourir pour y arriver » . Le voyage -géographique- permet de concrétiser ce proverbe qui peut s’appliquer aussi à tout autre projet dans la vie.


Je demande parfois à ce que l’on me montre sur la carte la région de Kamusi/Panakawa, où se situe l’exploitation forestière, là encore, on tourne et retourne la carte dans tous les sens, on examine en détail le relief montagneux qui sert de point de repère, certains cherchent la rivière Bamu, d’autres la rivière Fly, et avec une approximation de l’ordre d’une centaine de kilomètres on me pointe du doigt une zone de la carte où il n’y a absolument rien : pas de ville, pas de village, pas de route. C’est ici ! Pas de surprise là-dessus, je sais que l’endroit où je me rend en bateau ne sera qu’une étape dans cette fuite vers la civilisation, et qu’il me faudra ensuite marcher, marcher longtemps, avant de retrouver enfin une ville et l’accès au réseau routier national.

Tout ce que j’ai comme information fiable, c’est le plan à très court terme. On m’explique que je vais monter à bord du remorqueur arrivé 2 jours plus tôt, celui-là même qui a déchargé tout son bois sur notre cargo. Qu’une fois vide il devra retourner dans la région de Kamusi, dans l’un des camps forestiers afin d’être ré-rempli de ces milliers de troncs d’arbres, avant de revenir ici à Umuda pour terminer le remplissage du cargo, et ainsi de suite… jusqu’à ce que le cargo suivant arrive et prenne le relais. (et accessoirement jusqu’à ce que la forêt ait complètement disparue… on en est encore loin heureusement).

.

Transfert de bateau

.
Troisième nuit sur le cargo, 4h00 du matin. Comme prévu l’un de mes camarades me réveille pour m’avertir que le chargement est presque terminé, que la barge sera vide d’ici une petite heure. Je devrai être absolument prêt à sauter à bord du remorqueur à ce moment car il ne m’attendra pas ! En effet une autre barge remplie de bois attend déjà non loin du cargo pour prendre la relève une fois le travail terminé. Et les consignes sont strictes, le temps, c’est de l’argent.

Il fait encore nuit quand je me lève, le ciel est rempli d’étoiles qui scintillent à la surface de la mer. Mon sac est prêt et j’ai encore le temps de déguster un dernier thé à la lueur du poêle-tonneau, ce feu de camp qu’on ne laisse jamais mourir sur le pont arrière du bateau. Moment chargé d’émotion et de tristesse pour mon esprit vagabond abandonné à sa propre solitude.

Avant de quitter définitivement ce cargo auquel je commençais à m’attacher je passe dire au revoir à mes camarades, ceux qui ne dorment pas. Poignées de mains chaleureuses, recommandations, prières et mots d’adieu. Je fait de grands signes à ceux qui sont au fond des cales ou en haut des grues, qui lâchent les commandes quelques secondes pour me rendre la pareil. Je sens bien qu’ils partagent ma tristesse, que mon court séjour sur le bateau fut apprécié de tous, car imprévu, improbable, et unique.

Ca y est, la barge est vide. Le signal est donné pour que je passe sur l’autre bateau. Je désescalade le cargo à tribord après avoir enjambé la rambarde, priant pour ne pas glisser, ne pas tomber lamentablement de plusieurs mètres entre le cargo et la barge, dans l’interstice qui me mènerait directement à la mer après m’être éventuellement assommé sur le rebord de la barge… Là encore, je ne fais pas le malin. Mon arrivée sur le cargo fut extrêmement stressante et mouvementée, ma sortie l’est tout autant, dans un autre style. Il me faudra finalement sauter de plusieurs mètres sur la barge après avoir jeté mon sac-à-dos à l’un des gars en bas qui, dieu merci, l’a parfaitement réceptionné, sans quoi j’aurais pu dire au revoir à mon équipement électronique. Mes solides chevilles de randonneur ont bien supporté le choc de l’atterrissage mais je garderai quand même des douleurs pendant quelques jours.

Une fois de plus, je remercie le ciel d’être sain et sauf… Et j’espère ne jamais revivre ce genre d’expérience. Mais pourquoi faut-il que je risque ma vie chaque fois que je me déplace en Papouasie-Nouvelle-Guinée ? Il faut dire que ces hommes sont sacrément costauds, robustes et résistants à la douleur, qu’ils savent escalader n’importe quel cocotier de 30 mètres de haut avant même d’apprendre à lire, que les blessures et les douleurs font partie du quotidien, qu’ils n’ont pas peur de perdre une dent, un doigt, un orteil, une oreille, dans une bagarre trop alcoolisée ou sur leur lieu de travail. Il existe même une tradition encore bien ancrée dans certaines régions, qui consiste à se couper une phalange après la mort d’un parent proche, à l’aide d’une petite hache. Il suffit de compter le nombre de phalanges manquantes pour connaitre le nombre de deuils… Alors quand, comme moi, on a peur de se tordre une cheville, ou de tomber à l’eau, il faut savoir rester humble face à ces hommes d’un autre monde, savoir accepter les difficultés et les règles qui s’appliquent sur leur planète. Mais tout ça n’est pas sans risque évidemment.

Je traverse la barge vidée de son bois, sorte de grosse plate-forme métallique flottante, pour rejoindre de l’autre côté le bateau-remorqueur qui l’a amené jusqu’ici. Une dernière épreuve d’escalade sur ces énormes pneus qui servent de tampons-amortisseurs tout autour du bateau, et me voilà enfin à bord du remorqueur, où un nouvel équipage m’attend. Avertis la veille par le Chairman de mon arrivée, ils ont accepté sans problème un passager clandestin à bord de leur navire.
.

Mais où va-t-on !?

.
Me voilà à nouveau seul parmi un groupe d’inconnus, la transition est assez brutale : nouveau bateau, nouvelle équipe, nouvelle destination. Les présentations se font très simplement, rapidement, et presque trop froides à mon gout. Au point que j’ai la désagréable sensation de déranger en arrivant à bord… Je réaliserai un peu plus tard qu’il ne s’agit que de l’extrême timidité des Papous, associée à la barrière de la langue. En effet, la communication sera cette fois plus difficile : sur les 5 membres d’équipage, un seul parle -très légèrement- anglais, les autres pas du tout. Quant au capitaine, il baragouine un mélange de pidgin (la langue nationale) et d’anglais qu’il m’est très difficile de décrypter. Pas facile dans ces conditions de partager ce qu’on ressent, ni même de savoir où l’on va et quel jour on arrive à destination ! Mais tout cela a tellement peu d’importance ici… Alors je commence à m’y faire. Oublier la notion de temps est un exercice très compliqué pour un esprit occidental comme le mien qui a baigné dedans toute sa vie, mais un séjour en Papouasie est un moyen efficace de s’en libérer, temporairement.

En insistant un peu pour en savoir plus sur notre avancée vers l’intérieur des terres, je découvrirai enfin mon itinéraire : nous allons d’abord longer la côte vers le nord-est avant de nous engouffrer dans l’embouchure de la rivière Fly (qui est en fait un fleuve), naviguant entre les dizaines d’iles-mangrove qui remplissent le delta, pour la plupart inhabitées. Puis nous entrerons progressivement sur la rivière Bamu, plus petite, que nous remonterons à travers la jungle sur la plus grosse partie du trajet, avant de passer dans l’un de ses affluents où se situe le camp forestier de Panakawa, notre destination !
.

A bord du « Fairway II »

.
Le soleil se lève au dessus de la mer, je découvre mon nouveau lieu de vie aux premiers rayons du matin et, malgré la fatigue, l’excitation est trop grande pour que je retourne dormir. J’observe, depuis le remorqueur où je me trouve, trois des matelots qui sont restés à bord de la barge juste derrière nous, qui finissent de nettoyer, ranger le matériel, enrouler les cordages, avant de finalement prendre leur pause prêt du petit feu qu’ils alimentent avec les restes d’écorces qui trainent sur le sol de la barge. Grands signes de la main et saluts à distance, le vent m’apporte des brides de rigolade et des morceaux de phrases en pidgin qu’il m’est impossible de déchiffrer. Je constate simplement qu’ils ont l’air d’avoir la belle vie et un travail qui les rend heureux… Ils remonterons à bord du remorqueur un peu plus tard lorsque nous accosterons l’une des berges de la rivière.
.

P1170308
.

P1170309

.

Nous zigzaguons entre les petites iles du delta pendant plusieurs heures et j’aperçois parfois de minuscules villages traditionnels construits au bord de l’eau. Mes camarades m’expliquent que la plupart de ces villages ne sont en fait que des camps d’exploitation du sagou, qui ne sont donc habités que quelques mois par an. Le reste du temps les habitants vivent dans le village principal situé légèrement en retrait de la rivière.

C’est en milieu de matinée que nous ferons notre première escale. Nous nous arrêtons dans un endroit complètement improbable au milieu de nul part et j’observe avec beaucoup d’intérêt la façon dont les gars sautent du bateau pieds-nus sur la berge marécageuse dans laquelle ils s’enfoncent jusqu’aux chevilles puis amarrent notre bateau, et sa barge, aux petits arbres qui poussent dans la vase.

Ils m’expliquent alors que nous allons rester là quelques heures, attendre le changement de marée, puis continuer à remonter la rivière en étant poussés par le courant lors de la marée montante. Cela nous permettra non seulement d’avancer plus vite, mais aussi de prendre une pause de quelques heures histoire que tous les gars en profitent pour rendre visite à leur famille et amis au village !

.

P1170310
Nous amarrons notre bateau pendant quelques heures en attendant que la marée monte et inverse le sens du courant de la rivière

.

Cet endroit, cette rivière, cette jungle-mangrove, ces villages de bambou et ces habitants à moitié nus ne m’inspirent que pirogues et crocodiles… et le fait d’arriver ici sur un bateau-remorqueur (ultra-moderne dans le contexte) me laisse une étrange impression de décalage temporel, de choc des cultures, une rencontre du troisième type.

D’ailleurs, bien qu’étant habitués à voir passer des remorqueurs, pour la plupart de ces enfants ce sera la première fois qu’ils verront un Blanc… pour de vrai. Ils me regardent et m’observent avec un mélange de curiosité, d’inquiétude et de respect. Certains sourient ou s’échangent des commentaires, d’autres restent sans voix et me fixent du regard pendant de longues minutes. En général, un simple sourire de ma part suffit à les faire tous rigoler, alors la tension retombe !
.

P1170311
.
Une fois notre bateau amarré le long de la berge vaseuse, les habitants du village viennent à la rencontre des matelots et des dizaines de gamins arrivent sur leurs petits canoës en bois (ils ont chacun le leur) et grimpent sur le bateau de tous les côtés comme une drôle bande de pirates à l’abordage ! Ca escalade les barrières, court dans tous les sens, descend dans les chambres ou montent dans la cabine du capitaine, sans que cela ne pose de problème à l’équipage !

Pour ma « propre sécurité » on me conseillera de rester à bord du bateau… Les Papous sont toujours trop précautionneux avec les étrangers, ils ont surement peur que je me perde ou que je me blesse en sortant dans les bois ! Comme la communication est toujours difficile entre nous et qu’en plus je commence à sentir la fatigue me tomber dessus, je resterai à bord en essayant tant bien que mal de dormir, inondé de ces milliers de mouches qui attaquent le bateau… les seuls vrais « pirates » de la rivière. Je comprend maintenant pourquoi on l’appelle la Rivière Fly, « fly » signifiant « mouche » en anglais…
.

P1170315

.P1170312.

Nous reprenons la route en fin d’après-midi, une fois que le courant de la rivière s’est inversé. Les gars sont revenus du village les mains chargés de crabes et de poisson frais, de noix de coco, de bananes, et rapportent même quelques délicieux rouleaux de sagou comme ceux que j’avais l’habitude de manger à Daru !

Nous voilà partis pour une superbe « croisière » sur la rivière Bamu, large est boueuse, entourée de forêts, de mangrove, peuplée de crocodiles que l’on ne voit pas vraiment mais qu’on devine parfois sous la surface de l’eau ou au loin sur les rives inhabitées. La végétation très dense autour de la rivière ne laisse apparaitre qu’occasionnellement quelques villages au bord de l’eau, ou « camps de sagou », desquels, parfois, un petit canot s’échappe à toute vitesse pour venir à la rencontre de notre bateau. La rivière étant très large et le remorqueur avançant vite, il faut beaucoup de temps et d’effort à ces canotiers pour nous rattraper, munis d’une simple pagaie en bois.

Une fois leur canot amarré au remorqueur, attaché à l’aide d’une corde, ils nous présentent leur chargement de poisson et de fruits qu’ils tentent de troquer contre des sachets de nouilles, ou de l’eau potable dont ils manquent cruellement dans leurs villages pendant la saison sèche… Ils restent là en général une dizaine de minutes, discutent avec l’équipage de la pluie et du beau temps (en l’occurrence, du beau temps seulement!), échangent quelques régimes de bananes contre des bouteilles d’eau, puis repartent dans l’autre sens vers leur village avant la tombée de la nuit.
.

P1170323
Du crabe pour le diner, accompagné d’un délicieux rouleau de sagou fourré à la noix de coco !

.

P1170324
Le temps est à la relaxation, en compagnie de Samua et Bede

.

Assis à l’avant du remorqueur avec quelques camarades je contemple cette rivière, ce décors hors du commun qui m’entoure à 360 degrés, je savoure pleinement cet instant et la chance que j’ai d’être ici, sur ce bateau au cœur de la jungle. J’essaie maintenant d’imaginer ma position sur une carte de la Papouasie-Nouvelle-Guinée… quelque part au milieu de cet immense réseau fluvial qui couvre toute la plaine depuis la frontière indonésienne à l’ouest jusqu’à la province du Gulf à l’est, à des centaines de kilomètres de la moindre ville ou route. Mon esprit s’égare, il se perd dans l’immensité…

Le soleil se couche maintenant sur la rivière Bamu et sur cette végétation qui s’étend à perte de vue, l’atmosphère devient surnaturelle, je suis comme dans un rêve. Je ne peux expliquer les sensations avec des mots et encore moins avec des photos, tout se passe dans la tête, c’est magnifique, magique, indescriptible.
.

P1170326

.
Je voudrais que cet instant dure toujours, je voudrais ne jamais aller dormir. Soudain j’envie le quotidien de ces matelots qui passent leur vie dans ce coin de paradis et qui n’ont, objectivement, pas un travail difficile. Le sourire et la bonne humeur ne les quittent jamais.

Quand enfin je me décide à aller dormir, quelques heures plus tard, la dure réalité me revient en pleine face et avec elle les innombrables mouches qui trouvent refuge à l’intérieur du bateau, bien décidées à me rendre fou cette nuit. Je les regroupe dans l’un des angles de la chambre et à grands coups de t-shirt je les extermine par paquets, c’est un carnage. Mon t-shirt fait des centaines de victimes ce soir là mais ça ne suffit pas, elles reviennent toujours plus nombreuses… et ma nuit sera un enfer.

Allongé nu sur une paillasse de bambou et transpirant à grosses goutes, la peau irritée à cause de la chaleur et du manque d’hygiène (malgré la douche d’aujourd’hui, la première en 4 jours), je me gratte et me gifle dans l’espoir de décimer encore un peu plus cette vermine qui n’a aucune pitié pour moi. Je lutte contre cet ennemi déloyal jusqu’au bout de mes forces.
.

Camp d’exploitation forestière de Panakawa

.

P1170333

Nous arrivons à Panakawa au milieu de la nuit mais c’est au petit matin que je découvre le nouveau décors qui m’entoure. Une superbe forêt, très haute, très dense, noyée dans la brume et dans l’humidité.

Il fait maintenant plus frais qu’en aval de la rivière, et la pluie a refait son apparition… Normal, nous sommes au cœur de la « rainforest » : la forêt humide tropicale.

Cette rivière qui était encore, hier, large de plusieurs centaines de mètres est devenue minuscule, à peine de quoi faire passer 2 barges côte-à-côte ! Quant aux quelques constructions humaines qui parsèment ce paysage, elles sont presque toutes liées à l’exploitation du bois : grands hangars de tôle et machineries diverses, campement pour les travailleurs, grues et camions transportant les troncs… On peut aussi apercevoir à certains endroits quelques campements traditionnels, camps de sagou ou minuscules villages constitués de quelques maisons seulement, qui devaient exister bien avant l’arrivée de la compagnie forestière, et qui ont subsisté.

.

P1170335

.

P1170336

.

Ce matin, je mange du crabe pour le petit-déjeuner ! Quel luxe me direz-vous… Mais ici, c’est gratuit, il y en a partout, il suffit de les ramasser et de les faire cuire, ou de les troquer contre quelques sachets de nouilles ou du sucre en poudre. Et croyez-moi il est succulent ! D’ailleurs, aujourd’hui je mangerai aussi du crabe pour le déjeuner, du crabe pour le gouter, du crabe pour le diner, et même du crabe pour tous les petits « en-cas » intermédiaires de la journée !

Je passerai la journée entière sur le bateau à attendre sans aucune information sur la suite des événements. On me dit d’attendre… attendre quoi au juste ? Je ne sais pas, je verrai bien, le moment venu. Il pleut pendant des heures et des heures et les gars profitent de cette journée à quai pour faire un grand nettoyage du bateau, maintenance des moteurs et remplissage des réservoirs d’eau douce. Pendant ce temps, notre barge se rempli à nouveau de ces gigantesques troncs d’arbres fraichement coupés. J’observe l’activité entre 2 tentatives de sieste infructueuses, les mouches ayant trouvé refuge contre la pluie… à l’intérieur du bateau.

Certains ouvriers travaillant dans l’entrepôt de Panakawa viennent nous rendre visite durant la journée et l’un d’entre eux me raconte l’accident survenu la semaine dernière : une des chaudières utilisées pour le traitement du bois a explosé, faisant 7 morts et de nombreux blessés. Les gars sont très tristes évidement, ils ont tous perdu des amis ou des frères dans cet accident, mais ils sont aussi très en colère contre la compagnie et son management chino-malaisien (il s’agit d’une compagnie malaisienne) qui ne s’est jamais intéressée aux règles basiques de sécurité, ni au confort et au bien-être des ouvriers. Quant aux salaires, ils sont tout juste « acceptables ». Beaucoup d’entre eux veulent démissionner, d’abord pour protester mais aussi parce qu’ils ont peur qu’un autre accident se produise. Mais ils m’expliquent que ce travail, c’est le seul disponible dans toute la région, et que s’ils souhaitent gagner quelques Kinas pour améliorer leur niveau de vie sans avoir à déménager à l’autre bout du pays, ils n’ont pas le choix.

Les Chinois, et les Malaisiens (qui sont en fait des Chinois), ne sont pas du tout aimés parmi les Papous, parce qu’ils sont à la tête de tous les petits commerces du pays, de tous les supermarchés et aussi de certaines grosses compagnies comme celle-ci, et surtout qu’ils ne pensent qu’à l’argent, faire toujours plus d’argent, qu’ils n’ont aucune pitié pour les employés/ouvriers et qu’il est impossible de discuter avec eux.

.

P1170328
A peine arrivés à Panakawa que les ouvriers du camp sont déjà aux commandes de leurs grues et s’affairent à remplir notre barge avec un nouveau chargement de bois

.

Premier pas sur la terre ferme

.
En fin d’après-midi, on me demande enfin de descendre du bateau, il est temps pour moi de continuer ma route. Le capitaine déplace le remorqueur pour me déposer en toute sécurité sur la berge et je réalise en sautant que je suis en train de poser le pied sur le « continent-Papouasie » pour la toute première fois en 3 semaines, n’ayant jusqu’ici visité que Daru, qui est une ile, et passé une semaine sur différents bateaux sans mettre le pied à terre. C’est donc ici, à Panakawa, petit camp d’exploitation forestière perdu au milieu de la jungle, que je ferai mon premier pas sur le continent papou !

L’arrivée au sol est pour le moins… boueuse. Je m’enfonce dans cette glaise collante qui retient mes chaussures comme une ventouse et me laisse de lourds paquets de terre accrochés de chaque coté. Je comprend maintenant pourquoi les gars préfèrent travailler pieds nus, que ce soit au sol ou sur le bateau. Une dernière pose avec l’équipage du remorqueur et puis c’est déjà le temps des au-revoir. Je leur fait la promesse qu’une fois arrivé en Indonésie je leurs enverrai la photo par courrier, en 6 exemplaires. Voilà encore des gens que je ne reverrai jamais mais que je n’oublierai pas…

.

P1170338
Une dernière photo avec l’équipage du remorqueur avant de nous séparer…

.
Je suis maintenant en compagnie des travailleurs du camp de Panakawa, que le capitaine du bateau a informé de ma venue. Là encore, j’attends pendant des heures et des heures sans trop d’information, assis sur un morceau d’écorce sale à l’ombre d’un minuscule arbre. Seul endroit où il est possible de poser ses fesses sur cet espace défriché et boueux à l’extrême. Je suis mort de fatigue après avoir enchainé quasiment 2 nuits blanches et de nombreuses mauvaises nuits. Attendre ici pendant des heures dans la chaleur sans pouvoir m’allonger ni même m’adosser à quoi que ce soit est un vrai calvaire. Et ces chaussures pleines de glaise qui pèsent des tonnes, et mon sac-à-dos posé dans la boue qu’il faudra nettoyer en arrivant… mais en arrivant où, au fait ? Je n’en ai pas la moindre idée.

Le soleil se couche… la nuit tombe, j’attends toujours patiemment assis sur mon morceau d’écorce au milieu de cet océan de boue. Je m’ennuie à mourir et ne rêve que de dormir. Maintenant à 2 doigts de m’étaler pleinement dans la boue et d’attendre que le sommeil m’emporte. Alors pour m’occuper l’esprit, et accessoirement éloigner les moustiques, je consacre mes dernières forces à ramasser des débris de bois et concocte un petit feu de camp réconfortant. Le feu est le meilleur ami de l’homme.
.

Dernière ligne droite avant Kamusi

.
Bien des heures plus tard, on me fait signe de monter en voiture. Enfin! Les gars m’ont arrangé un lift sur le seul véhicule de compagnie qui fait le trajet entre Panakawa et Kamusi, le camp forestier principal. Je monte dans la remorque du pick-up, entassé au milieu de nombreuses personnes, hommes, femmes et enfants, dont je n’ai pas la moindre idée de leur présence ici. Une bonne heure nous est nécessaire pour faire le trajet jusqu’à Kamusi, empruntant la piste de terre en très mauvais état qui fut construite par la compagnie d’exploitation forestière afin de transporter le bois, le matériel, et les personnes d’un camp à l’autre. Je suis maintenant totalement à bout de force, incapable de parler ni de penser, je m’endort accroupi, la tête dans les bras, malgré le vent froid et les secousses du véhicule qui font décoller mes fesses de la planche sur laquelle je repose, dans l’inconfort le plus total.

Le véhicule dépose ses passagers un par un dans Kamusi qui, d’après ce que je découvre, semble être un gros village construit autour de l’exploitation forestière. Je me retrouve alors seul à l’arrière du pick-up et me sens encore plus seul que jamais quand le conducteur me demande où il est censé me déposer… Je lui donne sans trop y croire un nom de contact, qu’un camarade m’avait donné sur le cargo au cas où j’aurai besoin d’aide à Kamusi. Mais personne ne semble connaitre cette personne. J’ai bien peur de finir dehors cette nuit… avec en plus la pluie qui menace de tomber. Mais je suis tellement épuisé que dormir dehors est maintenant le dernier de mes soucis, je souhaite juste qu’on me dépose n’importe où et qu’on me laisse dormir tranquillement pendant une semaine s’il le faut.

Après un rapide coup de téléphone et quelques minutes de réflexion, le conducteur me propose alors de dormir chez lui… une invitation tombée du ciel que j’accepte sans réfléchir. Il a même une chambre pour moi ! Je fais ainsi connaissance avec Bonni et Zaldi, tous deux Philippins, amis, colocataires et collègues de travail, qui m’accueillent dans leur maison avec le sourire franc et une hospitalité digne de celle des Papous.

Il est deux heures du matin quand je vais enfin me coucher et je m’endors cette fois sur un lit, luxe suprême, recouvert d’un matelas ! Trois semaines que je n’avais pas dormi sur un matelas. Quel bonheur… Je tombe de sommeil en quelques secondes, je m’effondre, je m’évanouis, je disparais. L’aventure fluviale s’arrête ici.

Demain, une nouvelle aventure commence : maintenant que je suis entré au cœur de la jungle, il va falloir en sortir…

.

P1170340
La maison de Bonni et Zaldi, mes amis philippins, et le véhicule qui m’a transporté de Panakawa à Kamusi.

.

Le point GoogleMap

.

map_kamusi_zoom1_600
Je me trouve dans le sud-ouest de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, dans la région qu’on appelle « Western Province »

.

map_kamusi_zoom2_600
Parti de Daru en cargo quelques jours plus tôt, je change de bateau au large d’Umuda, dans le delta de la rivière Fly. C’est ici que mon voyage à bord du remorqueur commence. Il m’emmènera jusqu’au camp de Panakawa (quelque part au sud de Kamusi) et puis un véhicule m’emmènera finalement jusqu’à Kamusi où je pourrai enfin me reposer…

.

map_kamusi_zoom3_600
La forêt dense n’est percée que de quelques rivières et quelques pistes de boue utilisées par les camions pour le transport du bois. Le seul accès au camp de Kamusi est son aérodrome : une toute petite piste d’atterrissage qui permet aux travailleurs d’aller et venir depuis/vers le reste de la région.

.

.

<— Article précédent | Article suivant —>

.

.

Commentaire(s) (10)

Fantastiques aventures! Bravo pour cet article et merci de nous faire partager ton odysée

Salut Marco, c’est avec grand plaisir que je vous fait partager mon voyage et je continuerai à le faire tant que je pourrai! Merci beaucoup ;-)

Je sens que ca va se finir en avion-stop cette histoire la!
En tout cas, superbe article encore une fois. Merci!

Salut Jeremy,

Pour répondre en partie à ton interrogation: je m’étais promis de traverser toute la Papouasie-Nouvelle-Guinée en surface, de bout en bout, donc sans prendre l’avion (ni même avion-stop), et j’ai tenu ma promesse !

je n’ai pas quitté Kamusi en avion mais bel et bien à travers la jungle… Réponse complète dans les prochains articles ! ;-)

Amicalement,
Julien

ps: Adrien a maintenant repris la rédaction de ses articles sur l’Amérique du Sud et l’Afrique et va bientôt publier ses articles. Quant à moi je reviendrai dans quelques semaines.

Nous sommes une nouvelle fois plongés, avec toi, dans ton aventure. De notre perchoir de lecteur, nous voyons, lisons en « réglage virtuel » mais commençons à croire que c’est du vécu pour nous également, tant tu es accrocheur.
Ce doit être terrible ces adieux à chaque fois avec ces gens que l’on apprend à connaitre et apprécier et que l’on sait que l’on ne reverra pas…
Mais aussi tous ces accidents comme la chaudière qui explose. Bien entendu, nous n’entendrons pas cela aux infos dans nos radios. Perdus au milieu de la jungle, ces hommes qui travaillent comme des esclaves n’intéressent que peu de monde. Tu es un excellent témoin et, n’hésitons pas, un très bon reporter.
Et puis merci ne nous éveiller à ce qui se passe à l’autre bout du monde car le salon de jardin en acacia où en teck qui arrive sur nos terrasses viennent de tous ces coins du monde sans toujours se rendre compte de ce qui se passe en amont.

Et l’on attend toujours et toujours la suite de tes aventures.
Bonne continuation, bon courage.

Oui prions pour que la Papouasie ne finisse pas comme l’immense ile de Bornéo (plus grand que la France) dont l’exploitation forestière par les malaisiens/indonésiens a détruit une grande partie de sa foret native (ainsi que la culture intensive de palmiers à huile pour produire l’huile de cuisine et les soit-disant « biocarburants » qui sont une catastrophe écologique).

Bonjour julien,
Pourrais tu me dire stp de combien de tps est le visa pr la PNG lorsqu’on le prend en irian jaya ?
J’ai un peu peur qu’il ne soit que d’un mois et je me demande comment le prolonger.. Si cest simple ou pas a faire sur place..?

Idem pr l’Indonésie ou on me dit qu’il n’est que d’1mois.. On aimerait y rester plusieurs mois.. Comment fais tu?est ce que chaque mois tu dois sortir du territoire pr le faire prolonger ?
Tralala ces histoires de visa.. ;)

Merci d’avance pr vos réponses a TS.. Et tte belle journée..

Bonjour Julie,

Le visa pour la PNG est de 60 jours (2 mois), tu peux le demander au consulat de PNG à Jayapura, il est gratuit depuis peu (pour favoriser le tourisme).
Pour trouver le consulat c’est très compliqué car il est tout petit et change d’adresse tous les ans voire plusieurs fois par an…

Aux dernières nouvelles, il se situe dans la zone appelé AMADI. Donc depuis le centre-ville tu prends un pete-pete (mini-bus) vert (la couleur!) marqué « AMADI », tu demande au driver pour etre sur qu’il sait où est le consulat et qu’il peut t’y déposer. (j’y suis allé plein de fois mais impossible de donner plus de précisions!)

« Saya mau pergi ke konsulat PNG (pé-hen-gué) »
« Je veux aller au consulat de PNG »
Si t’arrives à lui dire ca t’es sauvée !

Autrement, voici le numéro de mon contact là-bas, Ribika, elle travaille au consulat et parle indonésien et anglais, très sympa elle pourra t’aider pour trouver le batiment ou pour te donner les horaires d’ouverture : 081247063962

Ah oui au fait pour le visa en plus des documents habituels et photos d’identité, tu dois écrire une lettre expliquant les raisons de ton voyage en PNG, que tu es conscient des risques, du manque d’infrastructures, que tu as assez d’argent pour le financer, et peut-etre qu’ils vont te demander aussi un billet d’avion « retour » preuve que tu sort de la PNG avant la fin de ton visa (60 jours).

Appelle Ribika elle te donnera toutes les infos !

Tu peux aussi prolonger ton visa PNG d’un mois à Port Moresby, mais ca prend quelques jours (donc tu peux rester 3 mois au total).

—————————————————–

Pour le visa indonésien il est normalement de 30 jours seulement. J’ai réussi à obtenir un visa de 60 jours depuis la PNG (Vanimo) mais c’est extrêment rare et j’ai du passer plus d’une heure avec l’agent consulaire pour répondre à ses centaines de questions et lui présenter un tas de documents. Je crois que c’était mon jour de chance.

Mais si tu n’obtiens que 30 jours tu peux toujours le renouveler à n’importe quel bureau d’immigration dans toutes les grandes villes indonésiennes. Effectivement, tu peux aussi sortir du territoire après 30 jours et revenir sur un nouveau visa de 30 jours (tu peux aller par exemple en East Timor, ou en Malaisie qui ont des frontières communes avec l’Indonésie, très facile donc et même pas besoin de prendre l’avion!)

Si tu as d’autres questions, n’hésite pas.

He bé, quelles histoires incroyables! Et ton écriture est simple et captivante. Merci.
On veut la suite! car si tu écris, c’est bien que tu es sorti de cette jungle impénétrable.
Mais bon, profites bien des Philippines aussi.

Merci Yogo! La suite arrivera dans… quelques semaines ! Pour l’instant je me repose et laisse Adrien nous présenter l’Afrique ;-)

Ecrire un commentaire