Australie / Papouasie-Nouvelle-Guinée : Le détroit de Torrès en avion-stop

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Publié par Froggy | Classé dans Autres..., Bon plan, Océanie | Publié le 09-02-2014

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Ou petit guide pratique pour ne pas rater sa traversée du détroit de Torrès en surface…

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Cliquez ici si vous souhaitez (re)lire le début de l’histoire : « Cairns-Bamaga, la péninsule du Cap York en autostop » et comprendre pourquoi je me retrouve à faire du bateau-stop dans le détroit de Torrès.

19 Aout 2013. Après un court trajet en ferry depuis Seisia (ma dernière étape sur le continent australien) me voici sur l’ile de Thursday Island dans le détroit de Torrès.

Map Torres Strait - Détroit de Torrès

Le détroit de Torrès est une étendue d’eau qui sépare l’Australie de la Papouasie-Nouvelle-Guinée sur environ 150 km. Il compte plusieurs centaines d’iles, très petites, dont seulement une poignée sont habitées. Officiellement la plupart de ces iles appartiennent à l’Australie, mais sont peuplées essentiellement par « les insulaires du détroit de Torrès » qui sont très différents des aborigènes d’Australie avec une culture et une histoire propre à eux.

Le détroit de Torrès fut l’un des passages par lequel le peuple australien (le vrai, originel, celui à la peau noire) est arrivé il y a environ 60000 ans, depuis la Papouasie et l’Asie du sud-est, à l’époque où le niveau des océans était plus bas qu’aujourd’hui et permetait de franchir ce détroit facilement à pied ou sur de petites embarcations.

Malheureusement (pour moi!) le climat de la planète a changé depuis cette époque lointaine, la température moyenne est montée de quelques degrés, le niveau des océans s’est élevé de plusieurs mètres et il n’est plus possible aujourd’hui de traverser le détroit à pied ! Il va me falloir trouver un autre moyen pour passer de l’autre coté…

Mon visa australien expirant le 31 aout, il me reste moins de 2 semaines pour trouver un bateau vers la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Inutile de dire qu’il n’y a ici aucun ferry, aucun transport public, aucune liaison régulière entre les 2 pays !

Je miserai donc sur le bateau-stop, en espérant trouver, non pas un voilier, mais plutot des petits cargos ou des bateaux de pêches. La géographie du détroit de Torrès me laisse à penser que je pourrai faire des « sauts » d’ile en ile, pour rejoindre progressivement les cotes de Papouasie. Malheureusement je découvrirai rapidement qu’il est formellement interdit pour un étranger (c’est moi) de faire des sauts de puce d’une ile à l’autre, car le seul et unique bureau d’immigration -australien- du détroit de Torrès se trouve sur Thursday/Horn Island. Et le seul bureau d’immigration papou de la région se trouve à Daru, en Papouasie-Nouvelle-Guinée (PNG). De plus, chaque ile du Torrès est administrée par une communauté aborigène différente et visiter l’une de ces iles nécessite une prise de contact avec le chef de la communauté, et l’obtention d’un « permis », ce qui rend les choses encore plus compliquées. Si je décide de respecter les règles, de rester dans la légalité, je devrai donc trouver un lift qui m’emmène directement depuis Thursday/Horn Island jusqu’à Daru en PNG…

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Les recherches commencent… Durant ces 2 semaines passées sur les iles de Thursday Island et Horn Island, ma vie se résumera à questionner le plus de personnes possible, sur le port, dans la rue, dans les magasins, au bistro, au pub entre 2 bières, au restaurant et au marché, aux différents bureaux du gouvernement et bureaux d’immigration, au bureau de poste, au supermarché… partout où il y a du monde, auprès des insulaires/aborigènes (qui pour beaucoup ont de la famille sur d’autres iles), des pêcheurs (qui ont peut-etre prévu une sortie en mer vers les côtes de la PNG), des officiels (qui sont bien placés pour me renseigner), etc. Recherches acharnées dans cette petite ville de 2600 habitant où tout le monde connait tout le monde et où chaque personne interrogée me fournira de nouvelles informations, des pistes ou des idées pour avancer dans mes recherches. Une véritable enquête policière que je mène du matin jusqu’au soir avec mon petit carnet dans lequel je note toutes les infos, noms, adresses, numéros de téléphones, horaires d’ouverture, prises de rendez-vous… puis raye au fur et à mesure, une par une, des pistes qui s’avéraient être géniales mais qui, pour quelque raison, ne sont plus à l’ordre du jour.

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Les habitants de l’ile, qui n’ont pas souvent l’habitude de voir un étranger par ici, et qui de plus n’ont pas un gros rythme de travail (!), m’accueilleront favorablement et prendrons le temps de répondre à toutes mes questions avec le sourire, chercher dans leur mémoire des informations qui pourraient m’être utiles, contacter leurs frères ou sœurs ou cousins sur l’ile voisine pour demander des renseignements… Les communautés religieuses notamment (elles sont nombreuses ici, Eglises en tout genre) m’aideront dans mes recherches et me donneront de vraies espoirs car certaines d’entre elles ont l’habitude de faire des aller-retour entre les iles en utilisant leurs propres moyens de transport. Le détroit de Torrès étant une frontière politique et un passage d’immigration clandestine important, mais aussi une région très réglementée pour la pêche et l’importation de produits, nombreux sont les services gouvernementaux, de quarantaine, de sécurité et d’immigration, présent sur Thursday Island. Ils me seront aussi d’une grande aide et de bons conseils pour appréhender mon projet et surtout le faire dans la légalité !

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Chaque jour, de nouvelles personnes rencontrées, de nouvelles idées, de nouvelles surprises, bonnes ou mauvaises, et toujours cette impression d’avoir enfin trouvé une solution viable suivis quelques jours plus tard d’une énième désillusion et du découragement qui s’en suit.

Mon carnet se rempli jour après jour de nouveaux espoirs et de gribouillages enchantés, aussi vite qu’il se rempli de rayures et de déceptions. Tout y passera : nombreux locaux ayant leurs propres embarcations et de la famille dispatchée sur les iles, équipe de rugby locale en déplacement vers d’autres iles pour des matchs, petits pêcheurs de plaisance et professionnels de la pêche à l’écrevisse, Rotary Club, Bureau de la Quarantaine, Consuls général et régional du détroit de Torrès, les « Customs », bureau d’immigration, l’autorité de sécurité maritime australienne qui parfois -exceptionnellement- prend des passagers, les communautés chrétiennes United Church et Seventh Day Advantis -entres autres- qui disposent de leurs propres bateaux, les compagnie d’avion/charters West Wings et Cape Air Transport transportant des marchandises entre Horn Island et la PNG, la compagnie de bateaux/charters Wis Wei, la compagnie locale de transport maritime Sea Swift qui dispose de quelques cargos, d’un quai et d’un bureau sur Horn Island, je passerai aussi des coups de téléphone et enverrai de nombreux e-mails auprès des différents consuls aborigènes insulaires afin d’obtenir les permis adéquats et je prendrai même contact avec un groupe d’activistes indépendantistes « Free West Papua » ayant quitté Cairns quelques jours plus tôt à bord de 3 voiliers naviguant vers la Papouasie…

Pour diverses raisons et une quantité importante de malchance, rien de tout cela n’aboutira. La compagnie de cargos qui autrefois acceptait très occasionnellement des « passagers » a cessé de le faire pour des raisons d’assurance, depuis seulement quelques mois… Les garde-côtes pourraient m’emmener sur leur navire sans trop de difficulté mais ils n’ont pas prévus de sorties en mer vers la Papouasie avant plusieurs semaines, idem pour les communautés religieuses qui m’auraient pourtant aidé avec plaisir. Le groupe d’activistes naviguant depuis Cairns a pris trop de retard à cause de la météo et puis tout le monde ici me conseille très sérieusement de NE PAS les rejoindre si je ne veux pas finir dans une prison en Papouasie, expérience à l’appui. Je me rendrai vite compte aussi que je ne suis pas arrivé ici à la bonne saison pour traverser le détroit de Torrès sur des petits bateaux comme ceux que possèdent les locaux, c’est la saison des vents dans cette région, ça souffle très fort tous les jours et la mer est agitée, la distance de 150 kilomètres qui nous sépare de la PNG ne permet pas de traverser en toute sécurité, il me faudrait attendre plusieurs mois que les vents se calment. Très peu font le voyage, ceux qui le font prennent de gros risques pour leur vie. Les histoires d’accidents et de personnes disparues en mer ne manquent pas.

Bref, traverser le détroit de Torrès en bateau, ça n’est pas à l’ordre du jour ! En fait, ça n’est pas impossible, il y a même quelques vraies opportunités, mais il vaux mieux y être pendant la saison des pluies (de Novembre à Mai) lorsque le vent tombe et que la mer est calme. Oui, d’accord… mais en saison des pluies il est impossible de traverser le Cap York en voiture à cause des inondations qui rendent la route -piste- impraticable ! Bref… de toute façon c’est trop tard pour penser à changer de saison, c’est maintenant que je suis ici, pas dans 6 mois, et je n’ai plus que quelques jours pour me sortir de ce cul-de-sac.

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Faute de trouver un bateau pour rejoindre la PNG, j’élargirai mon champ de recherches en intégrant cette fois le mode de transport aérien : l’avion-stop. Bien sur si je le voulais, je pourrai « louer » un avion pour moi tout seul (charter), auprès de la compagnie locale Cape Air Transport, qui est capable de me déposer n’importe où pour quelques milliers de dollars… Quand on a l’argent, tout devient possible ! Mais je ne vous étonnerai pas en vous disant que ceci n’est ni dans mes projets, ni dans mes moyens.

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Je ne vous ai encore pas présenté Bobby et Justine, qui m’offrirent certainement l’aide la plus précieuse et qui furent, indirectement, la clé de ma réussite. Bobby est un ami anglais rencontré en Australie l’an passé, à cette époque nous travaillions ensemble sur les Pédicabs à Cairns. Pilote d’avion de formation, il est venu en Australie et spécifiquement dans le détroit de Torrès pour trouver du travail et parfaire son expérience de pilote. En ce moment, faute de besoin dans les airs, c’est sur un ferry qu’il travaille 10 heures par jour, entre Horn Island et Thursday Island. Justine, c’est son amie, australienne, employée de bureau pour les services du gouvernement, elle vit dans un très bel appartement de fonction à flan de colline sur Thursday Island. C’est elle qui m’hébergera pendant mon séjour sur l’ile en échange de mes services de chef-cuisto pour les petits repas entre amis qu’elle organise régulièrement, avec une préférence pour la « french cuisine » !

Bobby, qui ne vit ici que depuis 6 mois, est un petit bonhomme au grand cœur qui connait déjà presque tout le monde sur l’ile. Il parlera de mon projet à plusieurs personnes influentes dont Wendy, travaillant pour la compagnie aérienne Cape Air Transport, et Jerome, responsable chez MG.KAILIS, une petite entreprise locale de pêche à l’écrevisse qui importe parfois depuis la Papouasie-Nouvelle-Guinée pour ensuite exporter vers l’Australie et la Chine.

En 2 jours, sous l’impulsion de Jerome, quelques coups de téléphone échangés entre MG.KAILIS et Cape Air Transport qui ont l’habitude de travailler ensemble, et avec l’aval du service d’immigration australien mon vol sera arrangé pour ce vendredi 30 aout à 7h00 du matin, un jour seulement avant l’expiration de mon visa australien… OUF !

Ici, pour remercier les gens il est de coutume d’offrir un pack de bière, comme l’on offrirai une bouteille de vin en France. J’offrirai donc un pack de bière à toutes les personnes qui m’ont aidé à organiser ce vol -gratuit- vers la Papouasie-Nouvelle-Guinée.

Et puis je noierai ma dernière soirée en Australie dans la bière (encore de la bière!), autour d’une table de billard dans l’unique pub de Horn Island en compagnie de Bobby, de quelques pêcheurs à l’écrevisse les poches pleines d’argent (au sens figuré comme au sens propre) et d’un vieux matelot australien aux cheveux longs qui prépare un énième tour du monde sur son voilier, départ prévu dans quelques semaines. Nous échangerons beaucoup, du voyage, de l’exotisme, emportés par l’alcool dans le brouhaha du pub et le clinquement des chopes de bières. Cette nuit-là sera très courte mais mémorable, ce sera ma dernière nuit en Australie après 2 ans de voyage.

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Bobby et moi devant l’aérodrome de Horn Island, d’où je m’envolerai vers Daru en Papouasie-Nouvelle-Guinée.

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C’est donc à bord d’un tout petit avion-cargo que je quitterai le sol australien. Assis à coté de Joy, le pilote, dans cet appareil qui pour l’instant est vide mais qui reviendra quelques heures plus tard chargé de centaines d’écrevisses grosses comme le bras.

Vol au dessus des nuages, dans le bruit infernal des moteurs à ne plus s’entendre penser, boules-quies dans les oreilles et manettes de commandes à portée de main, vue à 180°C sur le ciel, la mer et les iles du détroit de Torrès qui disparaissent sous la couche nuageuse. Une heure de vol plus tard et 150 km plus au nord, arrivée en douceur et premier contact visuel avec la Papouasie-Nouvelle-Guinée : l’ile de Daru et ses mangroves, ses rivières, ses habitations précaires, son aérodrome et sa petite piste d’atterrissage sur laquelle nous allons nous poser dans un court instant. Au loin derrière, les côtes de la Papouasie.

A l’arrivée, un agent d’immigration papou nous attend sur le tarmac pour les contrôles de papiers et formalités habituelles. Il a aussi été prévenu par ses confrères australiens qu’un passager se trouvait à bord de l’avion, situation pour le moins inhabituelle. Après s’être assuré que mon passeport et mon visa sont en règle, le douanier papou m’accueille avec un grand sourire et le coup de tampon magique qui m’autorise à rester 2 mois sur le sol de la Papouasie-Nouvelle-Guinée ! Ca y est, cette fois, j’y suis pour de bon !

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Dans la cabine de pilotage aux côtés de Joy, en « route » vers Daru !

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Arrivée en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Nous survolons l’ile de Daru avant d’attaquer la manœuvre d’atterrissage.

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Daru, sur le tarmac du minuscule aérodrome. L’appareil de la compagnie Cape Air Transport, piloté par Joy, me dépose ici « en stop » avant de charger sa cargaison d’écrevisses et de repartir vers l’Australie.

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Map Torres Strait - Détroit de Torrès19 Aout 2013. Après un court trajet en ferry depuis Seisia (ma dernière étape sur le continent australien) me voici sur l’ile de Thursday Island dans le détroit de Torrès.

Commentaire(s) (7)

C’est le vrai parcourt du combattant pour ta traversée. C’est le moment d’avoir des amis et des relations.
Toutefois sans rien connaitre de ces régions, c’est peut-être dommage de ne pas avoir pu la faire en bateaux, cette traversée, et d’ile en ile….
En tout cas le choix de ne pas te rapprocher des indépendantistes a été surement une bonne chose.
Bonne continuation et on attend les autres épisodes.

Ce fut une énorme déception de ne pas pouvoir traverser en bateau, et aussi de ne pas pouvoir visiter les iles intermédiaires.
Mais je manquais de temps pour pouvoir faire tout ca. Plus les problèmes de de permis et de poste frontière.
Et la météo qui ne permettait pas. Je n’ai rien à regretter…

Si je veux pouvoir revenir un jour en Australie, alors j’ai bien fait de respecter les consignes, autrement j’aurais surement pu quitter en bateau en restant (beaucoup) plus longtemps sur place, mais j’aurais eu des problèmes avec l’immigration et aurais peut-etre été interdit pour toujours de visa en Australie.

Eh oui, les relations, les réseaux … essentiel dans ce genre de voyage !
Tout ces articles sont pleins de bon conseils, merci d’écrire aussi bien, aussi clairement.
Es tu allé voir les peuples « premiers » dans les forêts papou ?
Hihi, réponse dans le prochain article je suppose
Peace

J’ai passé 2 mois en compagnie du peuple papou ! Mais ils ne sont pas forcément comme on le voit à la télé, tout nus avec des plumes sur la tete et de la peinture plein le corps ! Il sont cependant restés authentiques à leur culture et leurs traditions ancestrales sur beaucoup de choses. Les articles arrivent très bientot ;-)

Mortel cet article. On attend vraiment les récits d’Août à Février.

Hello Julien,
Hé bien, quelle aventure pour traverser ce détroit !
Capable de retenter l’expérience dans quelques années et à la bonne saison pour le faire en bateau ? Et dans un laps de temps plus conséquent pour visiter les différentes iles ?
Un article qui permet aux personnes qui ont le même projet que toi de bien s’orienter en fonction de la saison, du moyen de transport, de timing…
Et surtout, le prochain article, ce sera la traversée de la PNG (en plusieurs articles j’imagine).
Huuuum… Tu ouvres mon appétit de lecteur :-)
Bonne continuation en Malaisie !
Ciao

Salut Nicolas!

Pas sur que j’ai la motivation de retenter l’expérience dans quelques années… à moins que je trouve quelqu’un de motivé pour m’accompagner! (tenté? ;-) )

Et puis il est vrai que j’ai toujours très envie de retourner en PNG un jour, alors on ne sait jamais, ca pourrait être l’occasion de retenter la traversée en surface…

à bientot en png !

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