Carnet des Indes – Chapitre 1 : L’Inde du Nord-Est

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Publié par Froggy | Classé dans Asie | Publié le 08-12-2015

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DSC02274 [600x450 (tdm_blog)]Introduction

28 Aout 2014. Après un mois de voyage erreintant sous les pluies diluviennes de la mousson birmane je parviens à atteindre cette mystique frontière qui, quelques semaines plus tôt, me paraissait encore si lointaine. Me voilà aux portes des Indes.

Je traverse la ligne politico-imaginaire au point de passage Tamu (côté Birmanie) et Moreh (côté Inde) aussi simplement que si je traversais la rue. L’imaginaire et la politique sont si bien faits que je change non seulement de pays, en passant de l’autre côté de la rivière, mais aussi, d’une certaine manière, de continent. Bienvenue sur le sous-continent indien !

Cette région particulière des Indes, située géographiquement entre le Bangladesh, le Bhoutan, la Chine et la Birmanie, est appelée « l’Inde du Nord-Est » ou encore les « Seven Sister States » (les « Sept états sœurs »).

C’est une zone culturellement très différente du reste de l’Inde, avec un grand nombre d’éthnies aux racines plus proches de celles du Tibet et de l’Asie du Sud-Est que de l’Inde. C’est aussi la région la moins visitée du pays.

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L’Inde du Nord-Est

Je n’ai pas l’intention de m’y attarder car je dois être au plus vite à Dhaka au Bangladesh, puis à Kolkata, afin de débuter de longues démarches administratives pour de futurs visa (Iran et Pakistan).

Ici débute donc une courte série d’articles concernant mon voyage sur le sous-continent indien (Indes, Bangladesh, Sri Lanka) dont je vais maintenant partager le récit plus ou moins rafraichi de mes brouillons de carnets de voyage. Voici le premier épisode de ce carnet des Indes avec : « L’inde du Nord-Est ».
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Ville de Moreh (à la frontière birmane) – Province de Manipur

Tout juste arrivé à Moreh et déjà un premier checkpoint indien : deux grands militaires pathibulaires attendent dans une petite cahute en bois, caustauds, casqués et armés de fusils automatiques. Scène improbable dans cet endroit paumé. Improbable, mais un peu flippant quand même !

Ces 2 soldats ne comprennent rien à mon passeport, ils le regardent à l’endroit, à l’envers, sur le côté, en diagonale… ils n’ont pas l’air d’avoir l’habitude ! Et ne parlent pas un mot d’anglais.

Ils appellent leur supèrieur, qui lui est beaucoup plus sympa, souriant, ouvert et parle anglais ! Ouf ! Ils passent quand même 20 minutes (c’est long 20 minutes !) à deux bonhommes pour examiner mon passeport, vraiment pas habitués à ce genre de documents étrangers, en se posant des tas de questions (s’agit-il d’un cours donné au soldat par son chef ?) pendant qu’un autre soldat là dehors fait 5 fois le tour du tuktuk qui m’a a emmené jusqu’ici, vérifiant l’absence… D’armes à feu? De drogue? D’objets suspet? Le mastodonte armé contrôle visuellement mon sac-à-dos, mes affaires, avec un tel sèrieux que je ne peux m’empécher de rigoler !

Mon passeport est OK ! Serrage de mains, sourires aimables, au revoirs et retour au tuktuk. Et là grosse galère, une heure peut-être à faire des aller-retours aux quatre coins de cette minuscule ville pour trouver les différents bureaux (douanes, immigration, police, armée… c’est confu), on attend longtemps avec mon chauffeur de tuktuk devenu mon « accompagnateur de démarches » dans des bureaux vides remplis de paperasse, on nous fait repartir d’où l’on vient pour repasser à d’autres offices avant de revenir plus tard en possesion de nouveaux documents ou d’une signature supplémentaire…

Dehors c’est un déluge sans nom, je suis trempé.

Je change mes Kyat du Myanmar en Roupies indiennes à bon taux mais pas facile à trouver, un vrai parcours du combatant… J’obtiens finalement mes coups de tampons magiques, jette un oeil au passage sur le registre du bureau d’immigration qui indique que 3 étrangers seulement ont passé cette frontière avant moi durant tout le mois d’Aout : un couple de Français et un voyageur hollandais. A peine plus pour le mois de Juillet. C’est dire si le point passage est peu emprunté. Bonne surprise : pas de backchiche à payer à l’administration indienne, mais 350 Rp (~5€) pour mon chauffeur de tuktuk qui a passé une heure avec moi. Il les a mérité.

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Mon objectif du jour : rejoindre Imphal, la plus proche grande ville qui est aussi la capitale de province. Je pourrai y passer la nuit avant d’y voir plus clair demain sur mon avancée vers l’ouest.

J’embarque pour un couteux trajet en mini-van (500 Rp, ~7€) : ce sera 4 heures de route (en théorie) et 110 km jusqu’à Imphal. Une très très belle route de montagne, mais plutôt inconfortable sur la durée. Et un tas de checkpoints militaires le long de la route : quatre en tout !

Au premier checkpoint : arrêt obligatoire de tous les véhicules, ouvertures des bagages et valises, des militaires armés jusqu’aux dents nous attendent et nous scrutent, les bayonnettes transpercent tous les gros sacs remplis de céréales ou de légumes… il ne ferait pas bon se cacher à l’intérireur ! Ouverture des voitures et même démontage des sièges pour vérifier ce qui se cache dessous. Vérification des passeports de tous les passagers. Je suis un peu inquiet de les voir aussi sèrieux, aussi longs et aussi perplexes devant mon passeport, ils en font même des « photocopies » avec les moyens du bord : un téléphone portable ! J’ai aussi droit à beaucoup de questions et de « pourquoi ? », auxquelles je réponds calmement. Après tout je n’ai rien à me reprocher ! Au final, les doutes s’estompent, la tension retombre, et les militaires se transforment en de sympatiques bonhommes souriants, ils vont même jusqu’à me donner leur numéro de téléphone au cas ou j’aurai un problème plus tard, et s’excusent pour le dérangement. Incroyable !

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Deuxième checkpoint : « same-same » tout pareil mais en plus court pour les contrôles de bagages. Par contre les vérifications de passeport et d’identité n’en finissent pas… Ca devient vraiment ennuyeux, on me repose 10 fois les mêmes questions. Quelle bande de nuls ! Quel temps perdu !

S’ensuivent encore 2 autres contrôles militaires, plus courts cette fois. C’est au total 6 heures de route (et d’attente) qu’il aura fallu pour effectuer les 110 km entre Moreh et Imphal.

Malgré tout la route est magnifique : des colines à perte de vue et pas une trace de civilisation en dehors des checkpoints et des postes militaires.

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Imphal – Province de Manipur

Dans le mini-van j’ai fais connaissance avec Ajin, ma voisine de siège. Elle est indienne et appartient à une ethnie d’origine sino-birmane très représentée dans la région : les « Nagas ». Elle parle anglais et elle est super gentille.

Arrivé à Imphal de nuit, Ajin tente d’abord de m’aider à trouver un hôtel bon marché. Le premier est interdit aux étrangers, le deuxième est beaucoup trop cher pour moi…. Je souhaite continuer à chercher mais Ajin me propose d’aller dormir chez elle. Génial ! Toute la famille est super accueillante, beaucoup d’entre eux parlent anglais à part les anciens. Je rencontre la très jolie Lyly et son frère Kaguy un type super chouette.

On m’emmène gouter l’alcool de riz local chez le voisin. La nourriture dans cette région est très différente de la cuisine indienne traditionelle. Ce soir à table, un festin : du riz avec des flageolets, des escargots, du porc, du chien, le tout assaisonné de beaucoup d’épices et de piment.

Je passe un jour complet, et deux nuits, dans la famille de Lyly et Adjin. Ils sont super, je les adore. L’hospitalité en toute simplicité !

La douche, c’est pas au bidet, c’est au bidon ! Dehors avec un petit bol en plastique pour s’éclabousser. L’eau étant récupérée naturellement des pluie ruisselant sur la toiture.

Par manque de place dans la première maison on installe mon lit dans celle du voisin d’en face, c’est la même famille ! Ils sont aux petits soin avec moi mais pas trop, pas écrasants, curieux mais pas trop non plus. Excelente hospitalité. Je me sens comme chez moi.

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Aujourd’hui nous célébrons la mémoire d’un héro local (militant de la liberté) dont j’ai oublié le nom. Sortie en ville à moto avec Kaguy et sa bande : balades, visites du parc, du fort et du cimetière de la seconde guerre mondiale. Je goute au tabac à mâcher indien (paan), celui-ci est mentolé, pas mauvais !

Le soir, on sort dans le quartier, un peu glauque, et on se fait aborder par des shemales (transsexuels) assez insistants, presque lourds. Rigolo mais pas super à l’aise ! Ils/elles nous invitent à boire un coup en mitraillant de photos au portable et en menaçant (pour rire) de tout poster sur facebook !

Le lendemain matin je dois quitter ma famille d’accueil pour continuer la route. Ils me font quelques cadeaux de départ : des biscuits, du café soluble, du savon… Ils sont adorables. Très triste de partir après 2 jours seulement, eux aussi. Réveil à 5h00 du matin pour prendre le premier bus pour Dimapur.

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Dimapur – Province de Nagaland

Dans le bus pour Dimapur je rencontre deux missionnaires chrétiens (baptistes) qui naturellement viennent discuter avec moi, seul étranger dans le bus. Ils abordent rapidement le sujet de la religion, de LEUR religion, et ils n’ont plus que ça à la bouche. Je découvre leurs idées extrêmes avec un profond mépris de l’hindouisme, et même un vrai foutage de gueule sur les traditions locales hindous. Dans leur « monde idéal » ils convertiraient toute la population au christianisme. Ils tentent d’être sympas avec moi car ils me considèrent comme un « frère de religion » mais je ne cherche qu’à couper court à la discussion (monologue). Je les deteste, ils n’ont aucune ouverture d’esprit, bande d’extrêmistes religieux.

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Arrivé à Dimapur je cherche un hôtel pendant des heures, ils sont tous à 400 ou 500 Rp la nuit minimum, j’en trouve un à 350 Rp en face de la gare. Ils vérifient mon passeport avec attention, très suspects (pourquoi, je ne sais pas), puis m’accordent l’autorisation de dormir dans leur hôtel : j’ai droit à une chambre-cachot dégeulasse avec un gros cadena à l’ancienne pour vérouiller la porte qui ne ferme pas et une minuscule fenêtre protégée par des barreaux métaliques…

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Je cherche un cyber-café dans toute la ville mais impossible à trouver. J’aurais pourtant bien besoin d’aller sur internet car je me sens profondément perdu dans ce pays, sans un guide, sans même une carte ! Je rencontre un type sympa au marché aux fruits, il m’aide à trouver un resto ouvert à 21h00 quand tout est fermé après le déluge du soir. Le jeune vendeur au marché super gentil et souriant m’offre un peu plus de bananes que demandé, en cadeau pour me faire plaisir. Les gens dans la rue me regardent curieusement, ils semblent parfois halucinés de voir un étranger dans leur ville.

Une nuit passée à « l’hôtel » et une seule ! Réveil à 6h00 afin de prendre le premier train pour Guwahati et surtout pour acheter mon billet un peu en avance afin d’être sûr d’avoir de la place. Pas de problème, simple, rapide, et pas cher (90 Rp)… Pas de barrière de la langue, ca aide ! Dans le train : rencontre avec mes voisins de siège, des indiens sympas, ils parlent un peu anglais. Longues discutions, des gens curieux et ouverts.

La région, que je découvre brièvement par la fenêtre du train, est très belle.

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Guwahati – Province d’Assam

Dans le train, un type qui ne parle pas anglais m’invite à le suivre au temple à l’arrivée à Guwahati, pour faire les prières, prendre un repas, une douche, et même à dormir. Tout se passe bien sauf pour passer la nuit : il ne peut pas m’obtenir l’autorisation car je ne fais pas parti de la communauté du temple. Tant pis. J’aurai quand même le droit de faire une sièste après midi dans le dortoir du temple.

Je cherche encore un cyber-café en ville pendant des heures et des heure marchant dans la chaleur suffocante mais rien, rien ! Je demande, je questionne, personne ne sait ! On me ballade « à l’indienne » dans toute la ville : à droite, à gauche, au bout de la rue, par ci, par là, en avant, en arrière… Personne de sait mais tout le monde tente de m’apporter une réponse positive, une direction, une adresse, pur hasard sans aucun résultat ! En plus c’est dimanche et tous les autres commerces sont fermés. La ville est dormante, morose, ennuyeuse et sans intérêt.

Retour au temple avec mon copain qui ne parle pas anglais pour une nouvelle prière devant la photographie sans artifice du grand gourou, le maitre spirituel local, dans le silence et l’obscurité, pieds nus sur le pavé, toutes portes fermées… Quelle expérience ! (Il s’agit d’un temple inter-religieux qui prône le bon vivre ensemble, le respect et l’honnêteté, ouvert à toute personne de toute nationalité et de toute religion à condition de respecter les règles morales dictées par le fondateur du temple. Communauté « Satsang » ).

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Comme je ne peux pas rester à dormir au temple dans cette communauté pourtant si accueillante, je m’en vais chercher un hôtel pas cher pour passer la nuit. Il n’y a pas grand chose, on me refuse souvent l’accès : certains sont interdits aux étrangers ou n’en veulent pas dans leur établissement, d’autres sont juste complets (qu’ils disent…) et les derniers sont bien trop chers ! On tourne en rond dans la ville avec mon pote qui ne parle pas anglais (dont je n’ai jamais réussi à mémoriser le nom) qui me ballade « à l’indienne » à droite, à gauche, avec beaucoup d’idées et beaucoup d’optimisme mais peu de résultats !

Puis, raz le bol de tourner en rond, je décide de quitter la ville avant la nuit, j’en ai marre ! Pas envie de dormir dehors dans ces villes indiennes horribles, pas non plus envie de craquer 10 jours de budget pour avoir le droit de dormir dans un lit ce soir… Mon pote m’emmène au parking des bus. Il n’y a pas de bus le soir (~120Rp) mais seulement des mini-vans (170Rp), je prends ! Nous devons attendre que le véhicule soit complet (10 passagers) avant de prendre la route. Au revoir mon copain indien du temple et merci pour toute ton aide.

C’est parti, direction Shillong, cette fois je vais me rapprocher de la frontière du Bangladesh (je m’en étais pas mal éloigné depuis 2 jours à cause d’un cafouillage dans les bus et du manque d’information…).

Encore une fois deux ou trois personnes parlent anglais dans le bus, on discute de tout et c’est très interressant. Le voyage est un plaisir, un plaisir partagé. Quel bonheur d’être en Inde et de pouvoir discuter avec les gens, avec les locaux, après presque 2 mois quasi sans interaction en Birmanie et en Thaïlande.

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Shillong – Province de Meghalaya

Arrivé tard dans la nuit à Shillong après quelques heures de route, je pars à la recherche d’un hôtel, d’une auberge, d’un squat, n’importe quel endroit tranquille où passer ces quelques prochaines heures en attendant le lever du soleil. Il y a plein d’hôtels, des petits hôtels de rue bon marché, mais l’accueil est très mauvais : on me fout dehors avec des regards noirs et des silences qui en disent long. Ils n’aiment pas les étrangers ou quoi ? « No! No! No! Full ! Full ! Goodbye ! »

Je n’avais encore jamais vécu ce genre de situation avant, des dizaines d’hôtels et pas un seul qui va m’accepter pour une nuit, alors que je suis seul et qu’il est déjà tard ! Et ce sentiment d’être tout sauf le bienvenu… Merde alors, mais qu’est ce qui se passe ici ?

Quelques gens sympas dans la rue tentent de m’aider, mais il faut aller les chercher ! Il faut dire que la plupart des gens sont couchés à cette heure. Une gamine mignonne et dégourdie qui parle anglais m’accompagne au poste de police ou des agents relativement accueillants passerons quelques coups de fil à des hôtels du quartier jusqu’à en trouver un qui veuille bien m’accepter. J’y vais accompagné d’un policier mais, sans surprise, cet hôtel est un établissement « de luxe » bien au dessus de mes moyens ! (Ce que ne comprennent pas les locaux ici, car un européen devrait forcément être riche et dépenser sans compter).

Un autre hôtel un peu plus haut dans la même rue, encore trop cher : 500 roupies ! Il est tard et je me lève tôt demain matin pour prendre le bus, alors ca ne vaut vraiment pas le coup de mettre autant d’argent pour passer quelques heures entre 4 murs !

Tant pis, je dormirai dehors : cette petite ville me semble sympa comme tout (à part l’accueil effroyable des hôtels !), elle est entouré de montagnes, légèrement en altitude (1500m), l’air est frais et sec, le calme règne sur la nuit étoilée. Pourquoi ne pas dormir dehors ? Je marche un peu au grés des petites rues, trouve un endroit plus ou moins abrité et m’allonge sur mon sac en attendant le sommeil.

Malheureusement le calme ne va pas durer, je suis dérangé 30 minutes plus tard par un type qui à l’air complètement fou, il parle un peu anglais mais ses phrases ne sont pas cohérentes, il se répète, se contredit, et petit à petit monte le ton. Je comprends qu’il essaye de me dissuader par tous les moyens de dormir là, dans la rue, alors que je lui explique que j’ai déjà fais le tour de tous les hôtels de la ville.

Il s’approche un peu trop prêt, comemnce à regarder mes affaires, à mettre ses mains sur mon sac-à-dos en me posant des questions indiscrètes. Il me soule, il veut maintenant m’emmener dans « son hôtel à 700 Roupies, et puis à 500 Roupies ». Ca sent l’arnaque à plein nez, l’entourloupe, le guet-apens, il insiste, je m’énerve, je monte le ton, lui aussi mais avec une certaine folie dans la voix et dans le regard. Je commence à flipper sèrieusement. J’ai compris qu’il ne me lachera pas tant que je resterai là. Il a gagné, je remballe mes affaires et m’en vais. Lui part dans l’autre direction en beuglant « not allowed here! not allowed ! » (Pas autorisé ici !). C’est qui ce type ? Essayait-t-il de m’aider ? De m’ennuyer ? Ou même de me voler ? Est-il drogué ? Impossible à deviner, mais quel type bizard ! Et ce sourire fou qu’il avait sur son visage, ces sautes d’humeur et cet excès de colère… Je n’ai plus du tout envie de dormir dehors après cet épisode ! Je me dis qu’il m’a peut-etre sauvé de quelque chose, après tout, c’est vrai que ca n’a pas l’air très sûr par ici…

Je marche un peu pour me détendre, seul dans la nuit trop calme de cette petite ville perdue du fin fond de l’Inde. Je suis de moins en moins rassuré et l’envie de dormir dehors m’est passée ! Finalement je me pose à « Central Point » : une sorte de place centrale (ou un grand rond-point) entourée de quelques batiments modernes, c’est là que le mini-van m’avait déposé en arrivant en ville. C’est le seul endroit de la ville encore un tout petit peu « animé » à cette heure avec la présence de quelques habitants noctambules surveillés de prêt par un groupe de militaires armés (la police), une drôle d’ambiance ! Je m’assois devant la façade d’un grand batiment, juste en haut des quelques marches de l’entrée, c’est sale et je ne peux pas m’allonger ici mais au moins je me sens en sécurité. Cinq minutes passent, 2 militaires arrivent :
- Tu fais quoi là ?
- J’attend mon bus, demain matin, à 6h00

Surpris, intrigués, les questions fusent, je leurs expliquent mes déboires avec les hôtels du coin. D’abord suspects, questionnant mon statut, mon passeport, mon visa indien… Mais oui mais oui, tout est ok, j’attends le bus je vous dis ! Puis rassurés, sympatiques après tout, ils me conseillent d’aller m’installer à la « station de bus » : il y a des sièges et d’autres gens qui attendent. Je serai en sécurité qu’ils disent.
- Mais ne t’endorts pas, c’est risqué, tu te réveillerais sans ton sac, sans tes chaussures…
- Hhmm ok, merci pour l’info !

L’endroit est correct : une grande salle avec quelques tables et une dizaine de sièges en plastique à peu près propres. Une ampoule faiblarde allumée au plafond, trois murs qui abritent du vent et de la fraicheur nocture, et une grande ouverture donnant sur la cour intèrieur qui sert de parking pour les bus.

Un Bangladeshi (un homme du Bangladesh) attend à côté de moi, nous discutons un peu. Voyageur d’une quarantaine d’année au look très fashion (presque louche!) avec son chapeau trilby stylé, son costume de grand couturier, ses lunettes de soleil et sa petite malette noire. Un personnage haut en couleurs, très calme, visiblement attaché à son image, à l’allure à la fois innocente, étrange, mystèrieuse, et suspecte… Si je dois passer la nuit avec lui, je préfère entamer immédiatement le processus de « sympathisation préventive » ! Je lui offre des biscuits et de l’eau. Il avait soif. On discute, il s’efforce de parler quelques mots d’anglais. Il a l’air content, tout comme moi, de ne pas moisir tout seul dans la gare cette nuit, tout en restant méfiant et discret.

Nous en arrivons à parler (dans une extrême simplicité) des relations diplomatiques entre l’Inde et le Bangladesh :
- au niveau des gouvernements « good » , et des peuples : « no good »
Puis entre le Bangladesh et le Pakistan :
- au niveau des gouvernements « no good ! » , et des peuples : « good ! »

Fou rire ! Il est marrant ce type, et très sympa en fait. On aura au moins rigolé un peu ce soir ! Nous sommes dans la même situation lui et moi : tous deux un peu méfiants, tendus et perdus dans cette ville étrange en attendant nerveusement le lever du soleil, comme deux chiens égarés dans la nuit à l’affût du moindre danger. Ravis malgré tout d’avoir de la compagnie dans notre sinistre solitude.

Après une rapide exploration des bâtiments de la gare on décide d’aller dormir dans l’arrière-salle, dans un couloir propre et calme que nous considérons tous deux propice au sommeil. Tel un magicien avec son costume taillé sur mesure et son chapeau mauve, il sort alors deux grosses couvertures d’un sac de sport dont je n’ai jamais su s’il était à lui ou s’il venait de le trouver sur place, m’en file une en me souhaitant bonne nuit et s’en va dormir à l’autre bout du couloir sur une table en bois. J’adore ce type !

Le moment magique où une situation désespérée se transforme en un pur soulagement rempli d’espoir : Je vais enfin pouvoir dormir !
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Je dors bien sur le sol matelassé, la température est idéale. Puis c’est un réveil synchronisé avec mon camarade bengladeshi aux premières lueurs colorées du jour : « Good morning ! » Un petit vendeur de tchai (thé indien au lait et aux épices) a ouvert dans la salle d’attente de la gare. Nous buvons le thé ensemble, assis sur les strapontins en plastique, admirant le lever du soleil et la lumière enchantée, brumeuse, qui illumine le sommet des colines au dessus de la ville.

Nous marchons vers Central Point où il attend son bus, il s’en ira vers le nord, je crois. Quant à moi je continue à pied vers la rue que l’on m’a indiqué comme étant le point de départ de mon bus. Je vais vers le sud, vers le Bangladesh.

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Le départ de mon mini-van est prévu aux alentours de 6h00 et je découvre le nom de ma prochaine destination : c’est le village de Dawki situé à la frontière avec le Bangladesh.

Environ une heure de route sinueuse et 100 Roupies plus tard…

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Dawki – Province de Meghalaya (à la frontière du Bangladesh)

Ca y est, j’y suis arrivé, je ne suis plus qu’à quelques kilomètres des douanes ! Maintenant, le plus stressant : traverser la frontière : possible ou pas ? Ca va être la surprise, car il y a trop longtemp que j’ai eu accès à internet et je ne sais même pas si ce point de passage est autorisé aux étrangers !

Je marche au moins 30 minutes sur cette petite route de montagne où sont stationnés en file indienne (!) des dizaines et des dizaines de camions chargés de pierres en direction du Bangladesh. Un horrible village-frontière, l’accueil est froid, inexistant, l’atmosphère est glaciale, j’ai l’impression d’être dans un pays en guerre, tout est à l’abandon et je ne croise que quelques rares âmes errantes. Je marche, je marche, en plein soleil, mon sac sur le dos me parait bien lourd, longeant ce convoi sans fin de camions à l’arrêt. Les conducteurs sont absents, certains dorment à l’ombre sous leur véhicule, les quelques personnes que je croise dans le village ou après la sortie du village me scotchent du regard, mais sans un mot.

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Me voilà au poste frontière, perdu dans les colines au milieu de nul part, c’est ici que démarre le cortège de camions de plusieurs kilomètres que je viens de remonter à pieds depuis le village ! Ils attendent probablement, tout comme moi, l’ouverture du bureau des douanes. Il est 8h00 du matin, c’est encore trop tôt, mais déjà très chaud, je suis trempé !

Je patienterai une heure encore dans les locaux ouverts mais totalement vides du poste frontière. Personne pour m’accueillir, pas un seul douanier. Juste une ombre qui passe ici et là, dedans, dehors, hors d’atteinte, trop rapide ou trop lointaine pour échanger un bonjour ou quoi que ce soit d’autre. J’attends.

Et puis, en milieu de matinée, la fin du sursis. J’ai enfin ma réponse : elle est positive ! Mon visa est en règle et suis autorisé à traverser la frontière vers le Bangladesh ! Finalement, malgré un accueil encore froid et quelques questions suspicieuses de la part des douaniers j’obtiens sans problème le coup de tampon qui valide ma sortie du territoire indien. Encore quelques centaines de mètres, une ou deux formalités à régler de l’autre côté, et je serai officiellement au Bangladesh.

La suite au prochain article…

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Commentaire(s) (4)

Welcome to India!
Mais comme tu le sais désormais, c’est une parmi les nombreuses facette de l’Inde, et je suis désolé que tu aies eu à commencer par elle…
« autres sont juste complets (qu’ils disent…) », t’as tout compris!
En fait, pour héberger un étranger, un indien doit faire des démarches administratives (un papier à remplir au commissariat) avec lesquels ils ne veulent pas s’embêter (risque de corruption…), alors ils préfèrent dire « je n’ai pas le droit » ou « complet ».

Dis donc, après le Myanmar et ce passage en Inde, j’espère que le Bangladesh t’as réservé une meilleure surprise… à moins que… la Mousson, c’est ça?

Namastéééé !

Ah mon pauvre ami le Bangladesh fût une pèriode cauchemardesque de mon voyage, et même pas à cause de la pluie…

Oui, tu as raison les hotels ne veulent pas s’embêter avec ces démarches compliquées. Je préfèreraient qu’ils me le dise tel quel lorsque je demande s’il y a de la place pour dormir !! M’enfin, je peux comprendre.

Bonjour Julien,
Je suis très étonné que tu aie pu traverser la frontière entre Tamu et Moreh, sans permis apparemment ! Comment se fait-il ?
Antoine

Bonjour Antoine,

Oui en effet la situation a évolué ces queqlues dernières années, même s’il est encore difficile d’obtenir des informations officielles sur les démarches exactes à effectuer, les permis nécessaires pour chaque région, etc. Et je pense qu’elle n’a pas fini d’évoluer la situation car ces zones frontières sensibles sont toujours instables poilitiquement.

J’ai eu besoin d’un permis et d’un guide (comme décrit dans l’article) pour la région frontalière côté Birmanie, mais pas du côté indien.

C’est grâce à mon confrère voyageur Yogo (qui a posté de nombreux articles sur ce blog) et qui a tenté cette traversée de frontière quelques mois avant ma propre tentative, que j’ai pu en savoir plus sur les nouvelles conditions d’entrée sur le territoire indien, et que j’ai pu réussir à passer en ayant eu le temps de préparer le projet.

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